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On pourrait assez facilement parler de la musique de Yannick Dauby comme d'une tentative d'exploration d'un ailleurs de l'imaginaire musical. Outre que ce genre d'artifice laborieux a fait long feu, il donnerait de Yannick Dauby une image fausse. Sa musique est certes relativement insolite pour qui ne s'intéresse pas particulièrement à l'avant-garde musicale actuelle, mais elle est tout de même très éloignée de l'approche conceptuelle qui prédomine encore largement dans les écoles d'art. On se satisfera donc d'une problématique plus classique, mais plus sobre: «or donc, qui est Yannick Dauby?» Lovecraft disait -- source approximative citée de mémoire: «Je ne demande jamais aux gens ce qu'ils font. Seuls leurs rêves m'intéressent.» Qu'on se contente par conséquent de savoir que Yannick Dauby est ethnomusicologue de formation. De là les dizaines d'instruments de musique, de toutes formes et de toutes provenances, qui peuplent son logis, et dont il joue aussi bien qu'il en parle. Sa production récente, qu'il distribue volontiers autour de lui sous forme de CDs encore autoproduits, ne met pourtant que très partiellement en scène ce genre d'accessoire. Ses partitions, par exemple, s'apparentent bien davantage à un organigramme qu'à l'honnête feuille de portées traditionnelle. Car ce sont essentiellement des sons enregistrés par lui au cours de ses pérégrinations -- l'Inde, le Jura français, mais aussi le col de Vence tout proche de chez lui -- que Yannick transforme, étoffe, étire, déplace et superpose en une trame étonnamment complexe afin de composer ce qu'il appelle des paysages sonores. Car on songe bien sûr à la traditionnelle image du collage, mais le travail de Yannick évoque aussi, plus justement, celle du tissage; les rapprochements qu'il opère entre des sources sonores parfois fort disparates en apparence renvoient souvent par leur pertinence, au labeur patient de l'artisan qui choisit la couleur et la taille de ses fils, avant de décider de quelle manière il les assemblera. Andreas Eschbach et Jean-Claude Dunyach, qui nous on livré des pages magnifiques sur ce thème (respectivement dans Un milliard de tapis de cheveux et «Déchiffrer la trame»), auraient sans doute beaucoup de choses à dire sur cet aspect de son travail. Le résultat n'est donc pas censé illustrer tel ou tel concept abstrait, mais vise plutôt, en jouant notamment sur les réseaux connotatifs que tout un chacun établit au cours de son existence, à évoquer de manière plus ou moins précise des lieux, des objets ou des personnes, des événements; mais c'est pour ainsi dire une nouvelle oeuvre que l'on découvre à chaque écoute tant ce travail est riche et complexe. En fait, c'est cette interaction entre l'oeuvre elle-même et la charge émotionnelle attribuée plus ou moins arbitrairement par chaque auditeur à tel ou tel son, que semble viser l'auteur, plus que la simple «consultation» ou lecture traditionnelle.
Ce travail de composition est donc précédé d'une phase de collecte: À l'image du tisseur, nous préférerons ici celle de l'entomologiste. En effet, Yannick se déplace rarement sans un énorme sac noir d'où il extrait avec dextérité, dans le craquement des bandes velcro et le ziiiip des fermetures à glissière, toutes sortes d'appareils de prise de son, auxquels il adapte, selon les circonstances, des accessoires appropriés, et qui lui permettent de capturer in situ et in vivo tout échantillon sonore qu'il aura jugé bon d'archiver. Parmi les accessoires en question, citons par exemple le surprenant Headache de sa fabrication, sorte de casque de baladeur où les écouteurs ont été remplacés par des micros de façon à restituer dans ses moindres nuances l'audition binaurale humaine... À l'instar du photographe-randonneur qui interrompt sans cesse sa progression afin de prendre un cliché, Yannick Dauby consacre parfois de longues minutes à la prise de phonographies qui viendront enrichir sa base de données sonore. Dans ces moments-là, il convient de le laisser s'éloigner sans l'interroger (le Headache est parfois déjà en marche) et d'attendre tranquillement son retour. Outre qu'elle constitue une école de patience, la randonnée Daubyenne nous rappelle à quel point notre mode de vie essentiellement urbain nous a conditionnés à filtrer, à évacuer définitivement tout bruit que nous considérons comme parasite. À tel point que nous ne prêtons plus vraiment attention, au beau milieu des bois, au fait qu'un avion est en train de passer au-dessus de nos têtes, qu'un bûcheron a fait démarrer sa tronçonneuse, ou tout simplement qu'un oiseau vient de cesser de chanter à notre approche. Yannick s'en rend compte lui, et ne se lasse pas de nous le faire remarquer, puis, de retour dans son laboratoire sonore, de nous le faire mieux saisir.
Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur Yannick Dauby: sur ses précédents travaux comme cet environnement sonore intitulé Tango, étonnante déconstruction musicale d'après l'oeuvre du peintre Émile Salkin, ses expérimentations photographiques, ses découvertes récentes concernant ce phénomène insolite qu'est la sylvocombustion (Cf. le volume 14 de notre anthologie fantastique annuelle Le Codex Atlanticus), son projet de revue sonore (la bientôt célèbre Revue de Mythophonologie, projet sans cesse repoussé pour cause d'hyperactivité chronique, mais que l'on espère bien voir se concrétiser un jour), ses recherches sur le pionnier de la prise de son Bartolomé Marzuban-Calvario et la restauration qu'il a entreprise d'une partie de ses enregistrements originaux... Mais auparavant qu'on songe déjà à prendre contact avec son univers sonore et musical, et de cela nous avons déjà trop parlé. Pour en apprendre davantage, visitez son site personnel en cliquant sur ce morceau d'écorce ci-dessous.
De Yannick Dauby, La Clef d'Argent a publié: «De
la sylvocombustion spontanée», Le
Suaire de l'Orangeraie (photographie).
Yannick Dauby fait partie du comité de rédaction du Codex Atlanticus. |
Le saviez-vous? Vous pouvez télécharger librement les versions pdf des recueils d'Édouard Ganche, Le Livre de la Mort et L'Ordre de la Mort. |