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Science Fiction Magazine n°110,
février 2021.
Étranges
floraisons, anthologie de fantastique botanique dirigée par Jean-Pierre
Favard, Philippe
Gontier et Patrick
Mallet.
Décidément, les femmes sont
imprévisibles, les hommes aussi parfois. Flore ne voulant plus
vivre avec son mari, ce dernier l'étrangle, simule un accident
puis l'enterre dans le jardin. Comble de l'attention, dans le massif de
roses que Flore adorait. Qu'à cela ne tienne, les roses se
chargeront de rendre justice à cette amoureuse des fleurs par un
étrange mimétisme… («Mon amie la rose», par
Philippe Gontier).
Et si une main verte pouvait tout changer à la condition d'un
enfant? Et si un sorcier pouvait vous révéler à
vous-même en faisant de vous cet autre d'une espèce
future, à part, redoutable, devant apprendre à
maîtriser un très grand pouvoir? Voilà cette
histoire en forme de transformation qui transfigure en grand guerrier
un simple enfant de l'Afrique. Un enfant comme les autres somme toute.
(«Le Kuhu-Néré» par Pierre Brulhet).
Et il est également question de transformation dans
«Canopée» de Patrick Mallet, L''humanité des
siècles plus tard vient d'épuiser les dernières
ressources de Terra IV. Terra V offrirait une large possibilité
de repeuplement d'urgence, d'autant plus qu'un avant-poste humain s'y
est déjà installé. Mais une navette d'exploration
fait naufrage. Les survivants tentent de rejoindre le point de contact
humain le plus proche, mais semblent avoir perdu leur chemin. Mieux,
ils s'en éloignent, parallèlement à des
Canopéens qui suivent un chemin mystérieux. Reprenant les
vieilles trames de la SF au cinéma (Alien, 1979), l'auteur y
apporte une superbe variation au sens où la métamorphose
est ici signe de renversement de paradigme. Touchante allusion aux
dramatiques épisodes de déforestation sauvage de par le
monde cette nouvelle est comme un violent réquisitoire contre
ceux qui veulent s'accaparer ou détruire ce qu'il ne
méritent même pas de fouler de leurs pieds; ici la nature
se venge, comme un alien, mais avec l'humanité dont semblent
être à jamais dépourvus les hommes. Une belle
remise en question de nos soi-disant humanités.
Dans «Automne» de Jérôme Sorre il n'est plus
question de transformation ou de métamorphose, mais bien d'une
pondaison. Une gamine qui s'éveille seule dans un abri. Un papa
parti plus tôt afin de savoir si le grand dehors était
redevenu habitable. Mais plus de nouvelles. Courageuse et curieuse, la
gamine finira aussi par succomber à l'envie de sortir. Pour, une
fois repris le chemin vers la maison toute proche connaître un
sort similaire. Ici, la nature bien que prédatrice use de la
même fonction que les hommes quand il s'agit de forcer les
choses. Ce renversement est vécu comme une expérience
presque mystique. Ou quand le règne s'inverse. Belle et
touchante. Triste aussi, Mais ce sera probablement dans
«Fantaisies botaniques de Mirgance et Aiquose» de
François Fierobe que le lecteur assistera à l'ultime
stade de cette nature omnisciente et omnipotente puisque dans un
récit proche de l'évocation, pour ne pas dire du
légendaire, la nature, que ce soit les fleurs ou les arbres, se
fait presque mythe, pour ne pas dire déités à part
entière. Dans le cadre utopique de deux villes consacrées
à ces deux divinités que sont les arbres et les fleurs,
les habitants vivent au contact intime avec ces dernières des
expériences quasi religieuses où entre substitution
mécanique et visions psychédéliques, la nature
prend ici le pouvoir sur les esprits leur apportant bonheur et
satisfaction. On pensera ici au «Monde Vert» de Brian
Aldiss s'il n'y avait cette différence dans le fait que
l'humanité n'est pas réduite ou assujettie, mais
élevée. Et dans une relation qui n'est plus une illusion
comme le produisent les religions, mais bien une sincère osmose,
absolue et partagée. En un sens, ce texte est un chef d'œuvre.
Les quelques autres nouvelles ici présentes sont toutes à
remarquer. Que ce soit dans la difficile altérité et
reconnaissance de sa propre différence (le magnifique
«Sexburge» de Céline Maltère), dans la
survivance de l'espèce par une mutation faisant allusion aux
génocides passés («L'homme qui se prenait pour un
arbre» de Laurent Mantese), ou dans la fataliste de « La
grande offensive du printemps», par Stéphane Mouret, et sa
guerre des mondes où la nature devient aussi dangereuse que le
monstre de béton urbain, insidieuse et sournoise. Voire enfin
dans le délicat sujet de l'indigène, où le vieux
concept de cannibalisme se voit transfiguré par un rite de
germination transcendant la condition humaine, dans le magnifique et
terrible «Une belle plante» de Jean-Pierre Favard, tous ces
textes mériteraient d'être lus et
récompensés tellement l'originalité des
thématiques et des styles pratiqués sont à la
hauteur de l'entreprise. Une des meilleures anthologies de ces dix
dernières années.
Enrichie d'une superbe introduction de Jean-Guillaume Lanuque, connu du
milieu S-F et qui nous expose un remarquable tour du
propriétaire dans cette catégorie mal connue des
histoires de «fantastique botanique» éveillant chez
le lecteur des souvenirs à la fois cinématographiques et
littéraires, cette remarquable anthologie est en outre
agrémentée de superbes illustrations intérieures
que les éditeurs américains et autres envieront
très certainement. Renonçant à tout amateurisme,
Philippe Gindre nous prouve une fois de plus son immense savoir-faire
et son talent dans cette nouvelle expérience éditoriale.
Pari remporté haut la main. Cette anthologie est donc à
marquer d'une pierre blanche. Car de par son professionnalisme et la
passion qui la vivifie elle permet une fois de plus aux lecteurs de
découvrir un nouveau pan de l'imaginaire par un livre aussi bon
dans les histoires qui le composent que dans le travail graphique qui
l'agrémente. L'un des meilleurs éditeurs du moment, et
l'un des plus performants, au même titre que les éditions
Callidor. Bravo!
Emannuel Collot
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