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Dossier de presse

Cette page contient notre dossier de presse pour l'année 2011.
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Chronic'art, novembre 2011.

Lovecraft: Le dernier puritain, étude de Cédric Monget.

Indispensable à tout bon lovecraftien qui se respecte, l'étude rapide (80 pages) mais ô combien dense de Cédric Monget n'entend pas livrer toutes les clés de l'oeuvre incroyablement riche et complexe du gentleman WASP de Providence. Délaissant le portrait de l'écrivain en grande brute blonde si complaisamment brossé par d'autres, l'auteur se concentre sur l'athéisme et l'indécrottable matérialisme qui fondent l'irréductible spécificité de l'horreur lovecraftienne: quelle peut être la place de l'homme dans un monde auquel nul Dieu ne donne de sens? «Cette question, Lovecraft se l'est posée et y a réfléchi avec une rare acuité, depuis son plus jeune âge, lorsque la découverte des immensités cosmiques, grâce à l'astronomie, lui a fait perdre sa naïve foi dans les divinités agrestes du paganisme hellénique et romain». Un monde sans finalité où tout est vain, sans salut possible, ce que l'auteur nomme fort justement «l'homme dans le struggle for life cosmique». Couverture de Goomi.

Martin-Pierre Baudry


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Sueurs Froides, 4 novembre 2011.

Dans le désert et sous la lune, recueil de nouvelles de Patrice Dupuis.

Patrice Dupuis, fort de 3 recueils de poèmes, vient de sortir son premier recueil de nouvelles à La Clef D'Argent, DANS LE DESERT ET SOUS LA LUNE. 3 nouvelles assez longues, emplies... de poésie mais d'angoisse aussi. On peut même parler d'épouvante pour les deux premières. Une épouvante au sens large, sans vampires et autres monstres. Quelque chose de plus subtil, sans doute.
Nous retiendrons QUAND LE TRAIN S'ARRETE, réellement angoissante et à la noirceur absolue. Une femme enceinte (ce qui a son importance dans l'histoire)rencontre un mystèrieux personnage masqué dans un train. Pourquoi voile-t-il ainsi son visage?
Plus forte encore par sa violence même, (LE SOLEIL NE S'EST PAS LEVE CE MATIN) est la description démentielle d'une fin du monde, avec des scènes d'apocalypse horrifiques qui évoquent L'ANTRE DE LA FOLIE de John Carpenter. On lit rarement un tel déferlement de sexe et de violence en si peu de pages -- sans que cela soit en rien gratuit, précisons-le aux censeurs de tous poils. (LE SOLEIL NE S'EST PAS LEVE CE MATIN) est absolument terrifiante.
« Le monde était devenu fou. C'était comme si tous les pensionnaires s'étaient subitement échappés de l'asile pour faire écho à la Bible, qui commande aux humains de croître et de multiplier ». (P. 24)
Peut-être que, le jour venu, notre monde finira ainsi.

Patryck Ficini


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Epicure n°42, novembre 2011.

Lovecraft: Le dernier puritain, étude de Cédric Monget.

Romancier unique et prolifique, à l'origine d'indicibles terreurs nocturnes chez beaucoup de lecteurs, créateur d'un univers horrifico-fantastique passé à la postérité, H.P. Lovecraft était un personnage étrange dont l'oeuvre ne peut être détachée de l'être: c'est l'objet de cet essai court, fluide, percutant et documenté signé par un passionné. Plus particulièrement, son objet repose sur le matérialisme athée de Lovecraft, ses convictions darwino-nietzschéennes prolongées de préjugés raciaux, ainsi que sur sa culture WASP (white anglo-saxon protestant), et leur influence sur la nature de l'épouvante chez Lovecraft. Une étude captivante dont les amateurs de H.P. vont se délecter.


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Yozone, 2 novembre 2011.

Dans le désert et sous la lune, recueil de nouvelles de Patrice Dupuis.

Trois nouvelles, encadrées, embrassées plutôt. Trois textes très différents, qui laissent la bouche sèche et le souffle court. Trois incursions de la poésie dans l'irréel. C'est ce que nous propose Patrice Dupuis.
Le recueil, onzième de la collection KholekTh à La Clef d'Argent, est mince ; la couverture, inhabituelle pour un ouvrage relevant de l'imaginaire, dérangeante, voire rebutante. Et surprenante, tant elle ne reflète pas ce qu'elle recouvre.
Mais comment le pourrait-elle? En trois nouvelles et deux textes courts, Patrice Dupuis aborde des univers et des genres différents. Fouillis, ce micro-recueil? Ce serait un comble !
Et c'est là l'un des tours de force de Patrice Dupuis : lier, de façon presque indicible, ses cinq textes, par des échos, une ambiance...
Mais détaillons un peu ce «Dans le désert et sous la lune», justement sous-titré "variations nocturnes". Un prologue nous évoquant les tortues de mer, puis "Quand le train s'arrête" où la poésie du désert va laisser la place à des démons, pour frapper une femme au plus profond de sa chair, son enfant à naître.
Tout autant que la couverture, la fin m'a fait froid dans le dos, frisson effaçant la chaude caresse des sables qu'on ressent presque à la lecture de la nouvelle. Mais comme sans doute tous les jeunes parents, les histoires de foetus malingre ou difforme ne sont pas ma tasse de thé.
Puis vient "(Le soleil ne s'est pas levé ce matin)". Nouvelle de SF, narrée à la première personne, journée anormale d'un homme qui, infirmier dans un asile, se refuse à devenir aussi fou que le reste du monde. Un homme qui garde son calme tandis que d'autres sont déjà revenus à la sauvagerie, pillant un monde qu'ils imaginent condamné à court terme, usant de la force pour prendre ce que l'ordre, la civilisation, la morale leur avaient jusqu'alors interdit de toucher.
Au milieu de cette apocalypse, l'asile semblerait presque un havre, et les fous des clairvoyants.
"Le sursis" n'a pas lieu ce jour sans soleil, mais une nuit. Une nuit de veille d'un veilleur de nuit. Une nuit de ronde, ronde émaillée par la crainte sourde du veilleur de ne pas avoir rempli correctement son registre. Chaque pas est source d'interrogation, chaque action, chronométrée, millimétrée par l'horodateur qui pointe les étapes de la ronde. Et ce qui pourrait relever de la routine se vêt de tension, la nuit se fait plus sombre, l'univers semé d'embûches nouvelles, ces entrepôts deviennent labyrinthe mouvant. Quelle en sera l'issue? On pourra le deviner, ou au contraire avancer dans les ténèbres, sans rien perdre du voyage.
La "Lettre à Marina" qui clôt le recueil est un rayon d'aube après cette nuit. Écho à la nouvelle centrale, déclaration d'amour, elle n'est pas exempte de la pointe de fantastique qui donne à l'anecdote contée tout son mordant.
Finalement, malgré le sentiment diffus de peur, d'oppression qui pèse sur les personnages et les univers de Patrice Dupuis, on retirera de la lecture de «Dans le désert et sous la lune» une impression de calme, d'une lenteur propice à l'observation. Malgré les urgences auxquelles sont soumis les personnages (la femme enceinte, l'infirmier, le veilleur de nuit) et la brièveté des textes, jamais la lecture ne nous presse. On se prend à apprécier chaque phrase, chaque phase, chaque tableau, et on constate que l'auteur accorde effectivement à ses scènes le soin du peintre pour une toile.
Comme un bon repas, on en aurait voulu un peu plus, mais cela aurait sans doute été trop, changeant la saveur douce de ce recueil en sombre amertume. On gardera cependant un oeil au menu de La Clef d'Argent, pour ne pas manquer le prochain plat composé par Patrice Dupuis.

Nicolas Soffray


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Encres Vagabondes, 22 octobre 2011.

Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.

Avec elle pourrait être un roman d'amour. C'est un roman par nouvelles qui dit qu'avoir des parents n'est pas toujours facile.
Une mère pour un enfant c'est le plus souvent le réconfort, l'amour, la sécuritéÉ mais parfois une mère n'est qu'une matrice qui engloutit et qui aspire son enfant vers les tréfonds de la folie. Etre confrontée à la folie d'une mère dépressive peut détruire une enfant et l'empêcher de vivre pleinement sa vie d'adulte. Quand la famille devient toile d'araignée, quand les relations d'amour entre une mère et une fille se transforment en un liquide placentaire qui colle à la peau et qui entrave toute liberté, nous comprenons et partageons les émotions d'une fillette que nous retrouvons de texte en texte dans les personnages féminins des quatorze nouvelles. Sylvie Huguet dépeint avec beaucoup de talent l'horreur que représente la folie au quotidien surtout quand l'on est une enfant et que l'on n'a aucune possibilité de s'échapper: "Mais à sa droite, sa mère s'est cassée en deux, les bras noués autour de la tête et le menton dans les seins. Elle pousse des exclamations de terreur, elle exige que sa fille l'imite, et Christelle obéit sans mot dire malgré sa conscience du ridicule, car elle a reconnu dans sa voix une pointe d'hystérie tragique qui lui a fait froid au coeur."
Le père est aussi enfermé dans cet engrenage car il ne se résout pas à quitter le domicile conjugal pour laisser sa fille en pâture à sa femme et à sa belle-mère. En effet, la grand-mère et la mère entretiennent une relation fusionnelle et conflictuelle. Il a été subjugué par les yeux verts d'une jeune femme dont il ne découvrira la maladie mentale qu'après le mariage. Il ne pourra se résoudre à laisser sa fille entre les mains de sa femme qui peut être violente et suicidaire.
Un très beau recueil qui nous permet de pénétrer au coeur d'une famille terrible. Le sujet de la folie familiale est rarement abordé -- bien que le livre de Marie Chartres Cette bête que tu as sur la peau, récemment chroniqué sur le site, soit sur le même thème.
Il est important de dénoncer cette pathologie qui détruit la vie d'un être et de ses proches. Les dégâts sur les enfants sont inéluctables. Ils empoisonnent leur vie et parfois les empêchent de fonder eux-mêmes une famille ou d'établir des relations sociales équilibrées car ils ont perdu toute confiance en eux et dans les autres: "Mais passer une nuit avec ma mère ouvre en moi un abîme d'épouvante : elle s'est logée dans le grand lit comme une tumeur dont je redoute la propagation maligne. De fait, j'ai été contaminée dès ma petite enfance. A cause d'elle des germes délétères ensemencent déjà mon avenir."
Comment oser échapper à cette emprise de la folie à l'âge adulte sans culpabilité? Comment oser être soi-même? De terribles questions.
Ces textes sont des nouvelles mais elles pourraient constituer le roman d'une femme de l'enfance à l'âge mûr qui essaye par tous les moyens de ne pas se laisser engloutir dans un liquide paralysant qui la prive de toute liberté. Nous ressentons avec les personnages les peurs, les dégoûts, la haine... Cette confrontation à la folie et à l'amour dévorant et rejetant est magnifiquement abordée par Sylvie Huguet qui nous mène dans cet univers redoutable où nous retrouvons l'amour des animaux qui peuvent faire rêver et emmener loin de l'enfer en frôlant les marges du fantastique.
Ce recueil "coup de poing" ne peut laisser indifférent.

Brigitte Aubonnet


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Sueurs Froides, 14 octobre 2011.

Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.

«Allongée dans l'ombre humide, immobile et les yeux clos, je ne puis même pas bouger un doigt. Mouche prise à la toile, j'attends et j'ai peur. J'attends, j'ai peur et je me souviens.» (P. 62)
Si LE DERNIER ROI DES ELFES était une fantasy appréciable, AVEC ELLE dépasse tout. Cette dernière production de La Clef d'Argent, un recueil de nouvelles de Sylvie Huguet, touche à la perfection. Est-on dans le fantastique ou dans l'horrreur? Au sens large, qui est la marque des lecteurs ouverts d'esprit, assurément oui. L'ambiance est aussi étouffante que terrifiante. On songe parfois à L'ISOLA de Alda Teodorani (Editions de l'Antre) pour la folie, l'atmosphère déliquescente et les rapports malsains qui lient les personnages d'une même famille.
Sylvie Huguet, auteure de 150 nouvelles (!) a une plume magnifique et on a très envie de lire son second recueil chez le même éditeur. On ressent réellement la douleur des protagonistes. Tous ces textes ont en point commun les relations sordides d'une mère folle et de sa fille victime comme on peut l'être d'une araignée.
AVEC ELLE aurait pu donner un (excellent) roman; en choisissant d'écrire 14 nouvelles sur la même thématique (la dégradation d'une famille, le pourrissement des existences, la faute à la démence), Huguet signe un remarquable recueil, jamais lassant ou répétitif. Juste le développement d'une véritable obsession d'auteur.
La lecture n'en est pas facile, car la souffrance intérieure est intense. Les gens trop sensibles risqueront d'y laisser des plumes, voire de quitter le livre en cours de route. Ce qui serait dommage car on ne plonge pas tous les jours dans un petit chef d'oeuvre d'une telle force.
Implacable. Douloureux. Profondément émotionnel.
«Sur la falaise, le bûcher ne brûlait plus. Les braises rougeoyant sous un linceul de cendres élaboraient en silence la résurrection future. » (P. 43)

Patryck Ficini


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Yozone, 2 octobre 2011.

Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.

Il y a des histoires de couples qui finissent mal. Toujours mal. Car certains couples ne peuvent jamais se séparer. Comme une mère et sa fille. Pour le meilleur ou pour le pire. En l'occurrence, le pire est ici de rigueur...
Sylvie Huguet a publié plus de cent nouvelles. Les quatorze textes proposés ici sont donc d'époques différentes, publiés sous des noms différents, mais tous recèlent la même puissance, du fait de l'entité trouble qui en occupe le centre : la mère. Objet d'amour comme de haine, la mère hante chaque héroïne jusqu'à l'échappatoire.
On pourrait savourer chacun de ces textes, perles de noirceur, agglomérat de crainte, de terreur, produit d'un amour vicié par l'excès. Les mères de Sylvie Huguet, femmes de couples en crise comme il y a en hélas certainement beaucoup trop, sont aigries, égoïstes, et se cachent derrière un prétendu amour maternel pour garder captive la chair de leur chair. Captive, jusqu'à l'étouffement, jusqu'à priver de sa vie sa progéniture au prétexte qu'elle lui a sacrifié ses meilleures années.
Plutôt que les savourer un à un, happé par l'écriture je les ai dévorés à toute vitesse, et cette étrange impression m'est restée, et m'habite encore : bien qu'écrits sur deux décennies (certains datent de début 90, la plupart sont postérieurs à 2000), il émane de ces textes une unité, proche du mimétisme. J'ai parfois eu la sensation de relire la même histoire, mais c'est aussi parce que c'est toujours la même histoire, à quelques exceptions et détails près. Détails qui, ajoutés aux mots, mots de l'héroïne malheureuse, mots de son âge, changent finalement tout.
On distinguera tout de même des schémas : la libération par l'imagination (par l'Imaginaire avec une majuscule comme nous le défendons ici), dans un tableau, une image, un rêve fabuleux. «Derrière l'allée», «Coeur d'Ébène», «La Licorne» ou «Bûcher» entrent dans ce cadre, à la fin quasi heureuse. «Le Veilleur» également, dans une certaine mesure.
Mais peut-on les qualifier de victoires? Comparées au sort qui attend fillettes, jeunes filles et femmes des autres histoires, oui. Parfois la nasse se resserre, implacablement, comme dans «Retour». Mais le piège est souvent subtil, tissé des contraintes sociales, des conventions et de ces chaînes que sont la vie en famille. La paroxysme est atteint lorsque trois générations de femmes cohabitent, à l'image de «Week-end», où la seule porte de sortie, à défaut de la mort, est la folie. Un choix cornélien qu'on retrouvera également dans «Enfantillages»...
Le dernier schéma est celui de la victoire, écrasante ou de guerre lasse, de la mère, de son vivant ou pas. «L'aigle au poing» se "contente" d'une humiliation, mais «Avec elle» ou «Les yeux verts» vont jusqu'au dernier souffle de l'une des combattantes. Et le nôtre, longtemps retenu, par la même occasion.
Peut-être connaissiez-vous déjà Sylvie Huguet. À ma grande honte, et malgré son abondante production, ce n'était pas mon cas. Aussi tous les textes m'étaient-ils nouveaux, inédits comme rééditions ici à parts à peu près égales. Le talent dont elle fait preuve sur le thème abordé, confondant la répétition et l'originalité, multipliant les voies (sans issue) depuis un même départ, est époustouflant.
En restant à La Clef d'Argent, on pourra également la lire dans son recueil Le Passage, dont la couverture est également signée Sébastien Hayez, ou le court roman Le Dernier Roi des Elfes.

Nicolas Soffray


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Sueurs Froides, 30 septembre 2011.

Lovecraft: Le dernier puritain, étude de Cédric Monget.

Fascinant écrivain que Lovecraft, bien sûr. Ses univers et ses créatures ont assurément révolutionné le fantastique, l'épouvante et la science-fiction au début du vingtième siècle. Comme si cela n'avait pas suffi à la légende lovecratienne, l'homme, que l'on découvrit à travers son incroyable correspondance avec des gens connus, tel Robert Ervin Howard, et moins connus, passionna bien vite ses fans autant que ses écrits - ou presque. Il faut dire qu'H.P.L. avait une personnalité originale, voire étrange, et des opinions sur un très grand nombre de sujets. Des opinions parfois discutables dont on se servit à tort pour démolir l'auteur. Or, qu'on le veuille ou non, le racisme et la misanthropie lovecraftiennes sont au coeur de son oeuvre. On ne peut juger un artiste aux mauvais sentiments qui l'animent, telles des opinions politiques, aussi contestables soient-elles. On peut certes les reprocher à l'homme; en aucune façon, à l'écrivain. Ce dernier ne doit être jugé qu'en fonction de sa créativité et de son talent.
Cédric Monget est l'auteur de LOVECRAFT LE DERNIER PURITAIN, à la CLEF D'ARGENT, une étude passionnante qui revient là-dessus mais aussi et surtout sur lesoptions religieuses, athées même si entachées du puritanisme de sa région natale, de Lovecraft, elles-aussi indispensables pour saisir les fondements de la mythologie qui sous-tend une bonne part de son oeuvre. Il pourrait paraître paradoxal pour un athée d'avoir créé des dieux, fussent-ils extra-terrestres, et des cultes ténébreux. Il n'en est rien, comme le démontre Monget. Lovecraft joua avec la religion comme avec l'occultisme, en étant profondément conscient d'écrire de la fiction - même si d'aucuns, peut-être naïfs, pensèrent ensuite le contraire!
LE DERNIER PURITAIN, peut-être à réserver davantage aux connaisseurs qu'aux néophytes, évite l'écueil de l'intellectualisme universitaire, souvent illisible et ennuyeux, pour respirer, tout simplement, l'intelligence et la culture.

Patryck Ficini


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Sueurs Froides, 6 septembre 2011.

Scribuscules, recueil de Jacques Fuentealba.

Jacques Fuentealba réussit la gageure, pour la Clef d'Argent, d'écrire 365 micro-nouvelles fantastico-humoristiques ! Comme il l'est dit en quatrième de couverture, il s'agit là d'un genre bien français (un exercice de style devrait-on dire) dans lequel s'illustrèrent notamment les plus connus Jean-Pierre Andrevon et Jacques Sternberg.
L'ouvrage s'avère plutôt réussi. Certes, l'humour est souvent très lourd (les jeux de mots) mais drôle malgré tout. On retiendra plus particulièrement les chapitres consacrés à Lovecraft et aux vampires.Même si on parle aussi d'Alice, de loups-garous ou du joueur de flûte de Hamelin.
Quelques micro-nouvelles pour se mettre en bouche:
«Cendrillon n'eut jamais de nom plus approprié que ce jour où, devenue une vampire pâle comme la mort, elle décida de prendre son premier -- et dernier -- bain de soleil.»
«Dracula comptait bien que la bataille s'achève sur un bain de sang. Il lui faudrait au moins ça, avec un peu de mousse et des canards en plastique, pour se détendre.»
«Alice se trancha les veines avec un éclat de verre. Elle allait enfin passer de l'autre côté du miroir.»
«Le nez collé contre le miroir, à sniffer une ligne de coke, Alice se demanda quand elle arriverait de nouveau à passer de l'autre côté.»
«Un bon traducteur (d'horreur) est un traducteur mort.»
Étonnant petit recueil!

Patryck Ficini


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Mystère Jazz, 6 septembre 2011.

La soixante-cinquième case, recueil de Philippe Vidal.

N'allez point chercher loups-garous, sorcières, vampires et autres personnages du mon de merveilleux et étrange du fantastique. Non, Philippe Vidal explore un fantastique la65ecase_vignette.jpg feutré, celui que l'on peut ressentir entre sommeil et éveil, lorsque notre esprit vagabonde, soumis à aucune contrainte, à aucun interdit cartésien, à aucune logique, empruntant des chemins de traverse incontrôlés. On sait que c'est faux, et pourtant on ne peut rectifier le déplacement de notre conscience au risque de se réveiller et de plonger dans un réel peut-être plus fantasque ou, au contraire, trop terre à terre.
Alors on se laisse bercer sur les ailes de la littérature, s'inventant des histoires, échafaudant une mise en scène, prolongeant notre rêve et ne le quittant brutalement qu'à regret.
Philippe Vidal dans les dix-sept nouvelles qui composent ce recueil, se complait à évoquer au travers des textes Jorge Luis Borges, des auteurs sud américains, Georges Perec, et bien d'autres dont Raymond Carver.
Tout est dit, écrit ou presque dans la nouvelle intitulée Le Jardin qui parle. A un interlocuteur qui lui demande pourquoi avoir écrit Le jardin qui parle, l'auteur répond : Il se trouve que j'ai parfois -- comme tout le monde, en fait -- des sortes de vision... Rien de mystique, des images qui se forment dans mon imagination, et plus rarement des phrases... Non, en fait ça a commencé à un concert de Magma. Vous connaissez Magma ? (A ce sujet vous pouvez consulter mon article sur Magma).
Pas d'action, ou peu, surtout des réflexions, des mises en scène, malgré une présence policière, militaire, dans ces nouvelles, mais quoi de plus normal puisque Philippe Vidal explore l'ambiance sud-américaine, principalement vénézuélienne et argentine.
Mais l'écriture joue aussi un rôle principal, comme dans Les livres invisibles, sorte de parabole sur l'évanescence de l'écrit et de la parole face à un régime militaire. Les livres invisibles sont des ouvrages écrits par Le Faiseur. L'Ouvreur qui passe son temps dans un café en compagnie du Diseur, cruciverbiste acharné, même s'il sèche sur des mots simples de trois lettres avec un U au milieu, l'Ouvreur invite son ami chez le Faiseur. Et le Diseur découvre avec étonnement que le Faiseur écrit ses ouvrages avec une encre qui a la particularité de s'effacer presqu'aussitôt que les mots sont rédigés. Certains subsistent partiellement le temps de les décrypter puis hop, comme par magie ils s'en vont, aspirés dans le néant. Des ouvrages qui pourraient peut-être se révéler subversifs, mais ne seront jamais condamnés au pion ou à l'autodafé puisque les textes sont invisibles.
Des nouvelles qui ne sont pas si anodines que cela et font réfléchir sur la société.

Paul Maugendre


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Sueurs Froides, 5 septembre 2011.

Le Codex Atlanticus 20.

Nouvelle édition du CODEX ATLANTICUS, la vingtième pour être précis. L'Anthologie permanente du fantastique (de tous les fantastiques pourrait-on dire) est toujours un moment attendu dans la vie du fantasticophile amateur de bonne littérature. On sait en effet le bon goût et les excellents choix, généralement, de LA CLEF D'ARGENT, une toute petite maison d'édition qui n'a rien, mais absolument rien, à envier aux plus grandes, qualitativement parlant.
Bien sûr comme dans toute revue ou recueil de nouvelles, tout ne plaira pas à tout le monde. C'est naturel: dans ce contexte il en faut justement pour tous les goûts.
Cette année, nous retiendrons plus particulièrement quelques textes comme l'émouvant A L'ABANDON. Stéphane Mouret, co-créateur du célèbre Club Diogène, évoque ici, dans un style complètement différent, des thèmes aussi forts que la vieillesse, la solitude, la culpabilité et, bien sûr, la mort. Quoi de mieux que le fantastique d'atmosphère pour traiter ce sujet des personnes âgées qu'on traite comme des morts-vivants alors qu'elles sont encore bien vivantes, comme nous? L'écriture est belle, jamais larmoyante mais constamment émotionnelle, et la fin a quelque chose de marquant.
REQUIEM POUR UNE LICORNE est tout aussi beau. On peut faire confiance à Sylvie Huguet pour évoquer la fin d'une créature féérique, après son plus que réussi DERNIER ROI DES ELFES (même éditeur). On pense aussi, et bien entendu, au joli classique du film d'animation LA DERNIERE LICORNE. Très beau début: «La licorne est morte cette nuit, ou peut-être ce matin, dans cet entre-deux où pâlissent étoiles et ténèbres».
VENENEUX permet de retrouver le mystèrieux Nihil Messtavic en grande forme pour un récit vraiment sinistre et pessimiste. On préfèrerait presque le Messtavic nouvelliste que l'auteur plus célèbre des aphorismes qui l'ont consacré. Certains passages sont hallucinants: «Face à face, il me lança sans vergogne sa méphitique haleine au visage. Lorsque je levai les mains pour me défendre, sûr que de l'acide rongeait ma peau, les autres crurent que j'applaudissais et, simiesques, se mirent à frapper leurs mains l'une contre l'autre» (P.60)
Pour conclure, si LA COUSINE MAUDITE est sympa (Jean-Pierre Favard est aussi l'auteur d'un SEX, DRUGS ET ROCK'N'DOLE dont nous avons déjà dit grand bien ici), LE VISAGE DE LA BETE est carrément un sacré bon récit d'horreur moderne, sans bavure et sans concession. Pas étonnant que son auteur Romain Billot soit fan de Clive Barker et autres maîtres de l'horreur contemporaine. «Une créature hideuse, repoussante, aux poils hirsutes, s'attaquait sauvagement à lui. (...) Des griffes puissantes lacérèrent ses vêtements et les chairs tendres de son abdomen de buveur de bière, y ouvrant de larges brèches qui ne tardèrent pas à charrier des flots écarlates.» (P.79)
Saluons encore la grande variété du fantastique présent en ces pages, signe de l'évidente ouverture d'esprit de La Clef d'Argent.
Notons aussi, et une énième fois, la très belle couverture de Tiffanie Uldry/Mélusine, un très grand talent qui s'attaque visiblement ici au célèbre duo Coolter et Quincampoix, d'ailleurs présent aussi dans l'inévitable nouvelle finale de Philippe Gindre, grand patron de La Clef d'Argent et homme au goût très sûr.

Patryck Ficini


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Yozone, 4 août 2011.

La soixante-cinquième case, recueil de Philippe Vidal.

Des parties d'échecs qui brûlent les jours... Mais cela, au seul titre, vous vous en doutiez. Mais il y a dans ce livre une myriade de pépites, d'étincelles... De tentatives, de morceaux arrachés à quelque ailleurs...
Si c'est, on le comprend vite, "Infiniment pleurer", entre autres, qui donne son nom au recueil, ce n'est pas cette histoire de parties d'échecs dévorantes qui a su le mieux capter mon attention.
Philippe Vidal fait montre de sa passion pour Borges, et les textes qui lui rendent hommage sont très beaux, assortis d'une dimension fantastique indéniable, instillée d'une petite phrase, d'un mot, d'une tournure qui vous retourne toute la nouvelle. Vidal aime à brouiller les pistes, que ce soit dans "Radio-réveil", "Critique du sixième sens", "Histoire d'à côté" ou l'ultime "Mort de Carlos Velasquez". Ce sont là des textes sur lesquels on se torture les méninges passée la dernière ligne, avant d'hésiter à les relire, pour peser chaque mot, trouver la moindre piste manquée, échouer finalement. Mais réitérer le plaisir exigeant de chaque phrase.
Néanmoins, sans sombrer dans le léger, Philippe Vidal sait faire preuve de la même puissance stylistique pour des textes quasi humoristiques, comme "La présence de la Garde Nationale dans les rues est préventive" (qui, inspiré de faits réels, demeure grave), "Le jardin qui parle" (ou l'art d'une interview où l'on apprendra tout sauf ce de quoi on parle), la brève "L'omission" qui marque la victoire pathétique de l'Homme sur l'univers, le politicard "L'abolition des problèmes", presque trop beau pour être vrai (hélas si, ou presque...)
Mais... Deux textes m'ont encore plus marqué: "Les enfants", tristement cruel, et surtout "Les livres invisibles", entre anticipation et SF, où dans un climat de guérilla envahissant la ville, un homme découvre un écrivain de livres invisibles: et c'est dans les vides de ses textes que se libère son imagination, seule échappatoire au conflit qui rugit au-dehors.
Au final, presque vingt textes dans ce petit volume qui ne laissera pas indemne. Certaines nouvelles peuvent même laisser franchement dubitatif, mais c'est quant au sens. Jamais la plume de l'auteur n'est prise en défaut, tout au plus regrettera-t-on parfois, dans cette brièveté pourtant appréciable, de ne pas avoir plus de temps pour entrer dans l'esprit et l'atmosphère qu'il tisse et brouille sous nos yeux.

Nicolas Soffray


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De Litteris, 1er septembre 2011.

Le garçon doré, recueil de nouvelles d'André-François Ruaud.

Voilà plusieurs mois que je me promets de parler de ce petit recueil, qui n'a pas reçu toute la publicité qu'il mérite. Vous avez sans doute croisé le nom d'André- François Ruaud si vous vous intéressez un minimum à l'imaginaire et aux littératures populaires: berger de l'excellente maison d'édition Les moutons électriques, initiateur de la revue Yellow Submarine, présentateur acharné des petits maîtres de la fantasy dans la revue Faërie, auteur d'un très beau guide de la fantasy (Cartographie du merveilleux) et co-auteur de non moins intéressants essais sur la SF (Science-Fiction, littérature du réel et Science-Fiction, les frontières de la modernité), fin connaisseur de la littérature populaire (découvrez les arcanes de la Bibliothèque rouge!) ayant ressuscité la revue Fictions… On le connaît avant tout pour ses talents de passeur, bien qu'il soit également un excellent créateur de fictions (notamment pour la jeunesse), ce que ce beau recueil démontre amplement.
Sous sa magnifique couverture (premier appel au rêve!), Le garçon doré enferme huit micro-pépites: peu importe le genre littéraire qu'on souhaitera leur coller (fantastique? fantasy urbaine?) car elles les dépassent largement. C'est un recueil que l'on peut mettre dans les mains d'un amateur de ces genres autant que dans celles d'un novice complet: le genre n'y est souvent qu'un prétexte à cerner la fugacité d'une émotion, la lueur d'une sensibilité.
Huit nouvelles, donc, qui nous entraînent dans une géotemporalité si personnelle que l'on a l'impression de lire des souvenirs plutôt que des récits. Que l'on se promène dans le Londres de 1920 ou de 1999, dans le Pays de Retz des années 60 ou dans le San Francisco de 1996, que l'on suive un curieux garçon doré, des anges en rollers ou un simple paysan, l'impression demeure: ces nouvelles sont les ley lines d'une sensibilité. Ils relèvent de la vision plus que du récit – mes textes préférés sont d'ailleurs ceux qui nous donnent à voir une trouée de fantasme, plus qu'une histoire à proprement parler.
C'est que l'écriture est belle et évocatrice: elle sait capturer les détails des villes et des êtres et les faire vibrer dans les fils du texte. Sa finesse nous entraîne vers les éclats de cet Ailleurs que l'on désire, fantasme, touche du bout des doigts tout au long des nouvelles et qui sert de fil d'Ariane au recueil. On est tour à tour enflammé et mélancolique, à suivre ces curieux éclats d'âme, ces fenêtres vers l'Autre. C'est une lecture précieuse, que j'ai eu plaisir à renouveler au fil de ces derniers mois, me perdant dans D'or et de ciel, Imago, suivant Diane, Cliff et les autres dans les interstices merveilleuses du texte et des reflets de mondes chantés par Ruaud.
Une lecture que je vous recommande chaudement, pour ses (nombreuses) qualités, mais aussi parce que l'acheter permet de soutenir un micro-éditeur qui a un bien joli catalogue. Si vous souhaitez le commander (il faut aller sur ce site), n'hésitez pas à le feuilleter et à vous laisser séduire: ce sont des publications choisies avec un oeil qu'on devine exigent et acéré!

Julie Proust Tanguy

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Yozone, 26 juin 2011.

Le jardin des délices, roman jeunesse de Éric Cerle.

Créée en 2009 par les éditions La Clef d'Argent, la collection FiKhTon (dont nous ne sommes pas sûrs de savoir prononcer le nom correctement) se définit par la ligne directrice suivante: «romans étranges et fantastiques, insolites et inclassables». Après «Malbosque» de Gilles Bailly, avant «Sex, drugs et Rock'n Dole» de Jean-Pierre Favard, «Le Jardin des délices», ouvertement inspiré par le célèbre triptyque du peintre Hyeronimus van Aken, dit Jérôme Bosch, constitue donc le second volume de la série. Un roman extravagant et fantasque qui s'inscrit résolument dans la veine choisie pour cette collection.
Sous-titré «Hommage à Jérôme Bosch», ce roman d'Eric Cerle accumule non seulement images et références à l'oeuvre picturale de cet artiste, mais aussi à d'autres oeuvres de la peinture septentrionale du moyen-âge, comme le retable peint par Matthias Grünewald pour le couvent des Antonins d'Issenheim. Des triptyques souvent riches en effrois et en merveilles, des oeuvres rarement avares en éléments fantastiques et qui ne sont pas sans trouver de profondes résonances dans les grandes crises qui ont traversé le vingtième siècle.
Car c'est en effet à l'époque contemporaine que se succèdent ces chapitres, séries de vignettes et d'errances dans un monde mi-véridique mi-fantasmatique, dans un univers tissé de souvenirs et de cauchemars, sorte de monde intermédiaire qui n'est pas sans évoquer certains des cercles de l'«Enfer» de Dante, et qui, à la topographie très précise du réel, superpose les travées labyrinthiques du songe.
Si l'auteur a choisi de se référer à ce type de peinture qui ne s'épargne ni le grotesque, ni l'atrocité, ni l'horreur, c'est aussi parce qu'elle trouve, dans le monde récent ou contemporain, des échos singuliers. Aussi ne s'étonne-t-on pas si parmi les temps forts de ce récit figure, outre la description des filatures où mouraient les enfants exploités dans une ville où "Dieu n'était qu'une tirelire pour les riches", un chapitre consacré aux atrocités des camps de la mort, dont les réminiscences se retrouveront plus loin dans les déclarations accumulées d'hommes politiques négationnistes, et dans l'hallucinante description d'un cortège de prêtres génocidaires.

«D'ailleurs ici les vivants sont des fantômes... Et toi, tu n'es pas même une ombre!»
Il n'y a dans ces pages, concernant l'état du personnage principal, aucun leurre, aucun artifice. Si l'ambiguïté peut au départ apparaître comme un des ressorts à la fois de la narration et de l'ambiance, les pistes et allusions rapidement s'accumulent. L'aède -- le personnage principal -- se voit régulièrement interpellé par des créatures peu vraisemblables, avatars d'un seul et unique interlocuteur qui se présente comme son double, et laisse entendre que le chemin au long duquel l'aède dérive à travers les étroites ruelles d'Annecy est aussi celui qui le mènera, sinon à l'enfer, du moins du côté de "l'attente qui est naufrage, et cependant toute empreinte d'espoir, ni Lachésis, ni Atropos, ni présent, ni passé, ni avenir". Ni Lachésis ni Atropos, certes, mais une véritable déambulation dans les limbes, et une option certaine pour le sort et la fatalité que ces deux créatures symbolisent.
C'est donc dans ces marges étranges que se débat le personnage en proie à une agonie dont il n'a nulle conscience. Les avertissements de son double ne manquent pourtant pas. "Tu n'es qu'un rêve, l'aède, qu'un souffle, qu'une buée insignifiante, et ton royaume, une chimère". Ses explications sont parfois même presque trop claires: "Parce que tu rêves, l'aède, les yeux grands ouverts entre la vie et la mort, parce que tu es dans le coma et que tu ne sais toujours pas si c'est l'envie de revenir ou la mort aux trousses, qui, en toi, sera la plus forte".
Mais au fil de ses souvenirs, au fil de ses pérégrinations impossibles, le doute finira par l'étreindre, le spectacle de ses errances par lui apparaître anormal: "Car si c'était, à n'en pas douter, le même endroit, les mêmes lieux de l'enfance... tout, absolument tout lui apparaissait insolite, comme étranger, maquillé". Et la question ne manquera pas de finir par s'imposer: "Mais était-il encore vivant? Réel et non halluciné?"

«Tu vois ce que ça donne quand l'imaginaire contamine le réel? Le délire, l'aède, le délire!»
Le personnage semble donc n'y comprendre goutte, ou ne pas vraiment souhaiter comprendre, et se contenter d'un simple doute. Mais peut-être n'a-t-il au contraire que trop bien compris. Peut-être la mélopée de ses souvenirs tragiques -- la mort de membres de sa famille, l'irréductible nostalgie d'un amour perdu, la nausée du monde contemporain qui perdure dans ses aspects les plus cauchemardesques-, ainsi qu'un désespoir irrémédiable le poussent-ils à choisir, consciemment ou non, d'en finir avec ce qui lui reste d'existence. Et son double ne manquera pas de le lui reprocher: "Pourquoi as-tu manqué d'audace? C'est seulement à ce prix que le songe pouvait prétendre au réel!"

Le songe, la mort, l'art, le réel.
Si l'auteur cite ou évoque Jérôme Bosch et Matthias Grünewald, il n'oublie pas d'autres facettes de la peinture -- par exemple le Printemps de Botticelli -- ni la sculpture -- le David de Donatello -- ni la musique -- Bach, Haendel, Muddy Waters -- ni bien entendu la philosophie, en se référant explicitement à Detlev van Uslar, auteur d'un traité sur l'ontologie du rêve. Et c'est à travers une écriture à nulle autre semblable - tantôt lente et tantôt convulsive, tantôt cri et tantôt dérive -- qu'Eric Cerle tisse sa théorie esthétique et tragique du songe: "Tous ces regards perdus renvoyés à leur solitude, indifférents au cadavre dont le maître met à nu les muscles à la pointe du scalpel, lui aussi égaré vers l'inextensible décision du nulle part où s'échouent les rêves."
Sans doute faut-il considérer «Le Jardin des délices» d'Eric Cerle comme l'on peut considérer l'oeuvre peinte éponyme de Hyeronimus van Aken: une divagation à travers l'Histoire, à travers un paysage, à travers les effrois et les émerveillements du réel et du songe, à travers les méandres de l'âme. C'est donc à l'entrecroisement de géographies ou de topographies distinctes que l'oeuvre naît, fusionne, s'organise. Une convergence, un carrefour improbable où cristallisent en un édifice fantasque les étranges rejetons de la mémoire et du rêve, les fruits de l'union inattendue entre le territoire et la folie, entre l'agonie et la raison. Les cartes du songe, du temps et des lieux se réarrangent en une intersection nouvelle, tissent un canevas composite. Les méandres des ruelles d'Annecy et pour finir les paysages somptueux du globe, les anecdotes familiales et en définitive les grands tourments du siècle, les ultimes schémas complexes d'une cartographie axonale, les dernières étincelles dans l'écorce grise du cortex avant la plongée dans le néant.
Témoignage sans concession des immenses fractures sur lesquelles s'est achevé le précédent millénaire, récit d'une agonie neuronale, marée profuse et désordonnée de souvenirs, dérive fantastique à travers un monde onirique, florilège d'hallucinations poétiques et morbides, valse funèbre entre éveil et conscience, tiraillement constant, sinon écartèlement, entre raison et folie, et pour finir engloutissement lent dans les implacables remous du Styx: le roman d'Eric Cerle ne répond à nulle étiquette, ne s'inscrit dans aucun genre, ne se laisse réduire par aucune école. Impossible à résumer, indéfinissable en quelques mots, frôlant l'indicible, tutoyant l'indescriptible, il ne suit rien d'autre que la ligne directrice de la collection FiKhTon: «romans étranges et fantastiques, insolites et inclassables». Encore une fois, les éditions La Clef d'Argent et leur directeur Philippe Gindre, en publiant un texte atypique et exigeant, font preuve à la fois d'originalité et d'audace.

Hilaire Alrune

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Yozone, 1er juin 2011.

Chroniques de la Terre figée, roman jeunesse de Pierre Gemme.

Une météorite a frappé la Terre, interrompant sa rotation. Une face demeure au soleil, desséchée, l'autre est plongée dans le froid de la nuit. L'air est rare à la surface, autant que les survivants.
Axel et Nova sont jumeaux. Leur père, scientifique ayant annoncé le cataclysme, a construit un abri souterrain dans des cavernes proches lorsqu'il a compris que le monde ne l'écoutait pas. C'est là que les jumeaux ont grandi, jusqu'à une adolescence où leur télépathie renforcent leurs liens.
Lorsque la nappe phréatique qui alimente le refuge vient à se tarir, les jumeaux voient enfin l'occasion d'aller explorer le monde extérieur à la recherche de secours, et d'eau.
C'est le début, vous vous en doutez, de formidables aventures. Accompagnés de leur chauve-souris apprivoisée, embarqués dans un dirigeable conçu par Axel, le génie pratique du duo, ils s'envolent au-dessus de la face désertique de la Terre, traversant l'Atlantique à sec en suivant l'ancien câble transatlantique.
Le roman, comme leur chemin, est assez balisé. Sautez les 3 paragraphes suivants si vous voulez garder le mystère...

SPOILER ON
Durant cette première partie, intitulée "Le Dirigeable des Sables", ils vont rencontrer quelques survivants, certains amicaux, d'autres beaucoup moins. Malgré le cataclysme, des hommes s'attachent aux richesses du passé, pourtant inutiles, et à un rêve de pouvoir planétaire à reconstruire. Nova, en captant les pensées de son père, découvre ainsi qu'un des réfugiés sauvés par le scientifiques, et qui avait déjà l'air louche, limite patibulaire, est de ceux-là, et fomente un coup d'État avec d'anciens soldats échoués dans l'océan désertique.
Le premier tiers s'achève par d'émouvantes retrouvailles des enfants avec leur mère qu'ils croyaient disparue, tandis qu'en lisière du jour, en Amazonie, un chaman transmet ses pouvoirs à Nova, ainsi que l'espoir de sauver le monde...
"Les Territoires Bleus" commencent donc ainsi: les enfants, accompagnés de leur mère, vont donc retrouver la météorite responsable de tout cela et tenter... allez savoir quoi. Ils vont donc poursuivre leur périple, braver d'autres dangers: après la soif et la chaleur, ils affrontent les ténèbres et le froid glacé. Malgré tous les obstacles, ils triompheront, et le monde se remettra à tourner ; ce qui ne sera pas sans de fâcheuses conséquences immédiates.
Conséquences détaillées dans "Un Monde Jade", où la Terre renaît et où les ados et leur mère, ainsi que les peuples retrouvés en chemin, tenteront d'échapper aux écumeurs des mers opiniâtres et de sauver leur père des griffes d'un petit dictateur autoproclamé. Leurs pouvoirs grandissant, Axel et Nova découvriront la présence d'un autre groupe sur Terre, des créatures venues des étoiles il y a très longtemps...
SPOILER OFF

Fond et forme: XXe ou XXIe siècle?
A la lecture de ces « Chroniques de la Terre Figée », on retrouve le charme un peu ancien des romans jeunesse inspirés des oeuvres de Jules Verne, mais aussi de la prose adulte qui a fait les grandes années du Fleuve Noir Anticipation. Des péripéties à gogo, des héros débrouillards... Cent fois on les voit morts, échoués dans le désert, au fond d'une crevasse, écrasés contre une falaise, pris dans les glaces, ou simplement morts de froid... Et cent fois, un détail, une idée, un phénomène naturel oublié les sauve, et les porte vers leur prochaine étape...
En tant que lecteur adulte, j'ai souvent tiqué devant ces petits miracles, en pensant aux nombreux scientifiques qui mourraient d'apoplexie durant certaines scènes. Pierre Gemme accumule les contraintes et les dangers contre ses héros, et si ces derniers réalisent certaines choses a posteriori, le lecteur un peu tatillon (ou fort en physique-chimie) s'interrogera fréquemment sur la présence ou l'absence d'oxygène, le magnétisme "intermittent" de la météorite ou encore la résistance de ces enfants à des températures extrêmes. Mais passons, sous le couvert de l'aventure, sur tout cela: le rythme effréné de l'aventure fait passer au second plan ces quelques bizarreries.
On aura peut-être un peu plus de mal avec la syntaxe de l'auteur, qui tend à mettre des virgules là où il n'en faut pas (comme entre le sujet et le verbe) plutôt que là où il en faut (autour d'une proposition subordonnée, par exemple), aussi pas mal de phrases, et pas seulement des dialogues, sonnent mal, et requièrent parfois une seconde lecture pour bien comprendre de qui ou de quoi il est question. Il reste aussi une quarantaine de coquilles au fil des 340 pages, mais très peu de fautes, toujours détestables dans de la littérature destinée aux jeunes.

Repartir à zéro
Fable écologique et post-apocalyptique, « Chroniques de la Terre Figée » nous dresse un portrait tragique de la Terre du futur, qu'on découvre au fil des aventures de nos héros. Les hommes, dans ces temps difficiles, se scindent entre les survivants sages, visant l'harmonie avec ce nouveau monde ravagé, et les mauvais, qui continuent à piller et détruire par goût de la violence et du pouvoir, en espérant rétablir leur suprématie sur la surface. Le message est certes manichéen, mais dans ce premier tome de "redémarrage de la planète", il s'avérait nécessaire de distribuer les rôles.
On attendra la suite avec curiosité, en espérant que la phase "reconstruction" prendra par exemple en compte les problématiques actuelles en matière de développement durable et d'écologie, et qu'Axel et Nova, qui ont l'occasion de repartir de zéro, sauront dispenser quelques conseils aux ados d'aujourd'hui. Au cas où une météorite viendrait à passer...
Sans être un chef-d'oeuvre, ces « Chroniques de la Terre Figée » au style un peu rétro se lisent sans déplaisir, un peu comme on regarde le dernier « Indiana Jones »: beaucoup de choses nous paraissent trop grosses pour être crédibles, mais l'aventure est là, et balaie tout, jusqu'à la dernière ligne.
Et les gentils gagnent à la fin.

Nicolas Soffray

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Yozone, 25 mai 2011.

Satanachias, recueil de Christophe Lartas.

Les éditions La Clef d'Argent, qui publient du fantastique classique depuis deux décennies, ont fondé en 2007 une nouvelle collection baptisée NoKhThys. «Poètes à l'âme obombrée par la Ténèbre, philosophes noirs, chroniqueurs de la Nocturne et hagiographes du Néant : telle est la sombre cohorte des Enfants de NoKhThys». Sous cette ligne directrice générale ont déjà vu le jour plusieurs volumes à la tonalité sombre et atypique. Le recueil de nouvelles intitulé «Satanachias», par Christophe Lartas, constitue le quatrième bouquet de ce florilège des ténèbres.

Quatre récits très noirs
«Satanachias» , met en scène Untel, un personnage dont on ne sait rien d'autre que ce nom étrange, si ce n'est qu'il parcourt sans cesse le globe à la recherche du Diable. Si cette quête obstinée lui permet, contre toute attente, de rencontrer un démon dont il hasarde qu'il pourrait être également Dieu, sa confrontation avec Satanachias le fera repartir en une quête nouvelle, à la recherche du Dieu véritable - une quête tragique et dont la fin ne sera peut-être pas tout à fait celle qu'il attendait. Avec «Satanachias» , Christophe Lartas livre un conte à la fois symbolique et affreusement pessimiste qui inscrit d'emblée ce volume dans la ligne directrice de la collection.
Dans «Marssygnac» , l'auteur décrit la découverte d'une tour mythique et du destin tragique de l'imprudent qui croit y trouver l'aboutissement ultime de ses désirs et de ses rêves. Si l'ascension de cette tour impossible est porteuse de tous ses espoirs, la duperie sera aussi forte que ses attentes et la redescente bien pire que la chute.
C'est avec «Megalopolis» et ses excès assumés que Christophe Lartas s'approche le plus de son but. Si cette nouvelle, dans sa démesure, prend par moments des aspects lovecraftiens (elle évoque, par ailleurs, certaines pages où le maître de Providence décrivait sa répugnance à côtoyer d'autres races), elle représente aussi une charge contre les travers de la société contemporaine que n'aurait pas renié un essayiste flamboyant comme Philippe Muray. En décrivant une sorte de «phase finale» des quartiers sensibles relevant à la fois de l'horreur pure et de l'anticipation sociale, Christophe Lartas pousse à leur ultime aboutissement les travers dont souffre une certaine société (notons par exemple les dérives alimentaires, environnementales, sanitaires, festives, comportementales, mais aussi de l'art et du consumérisme) pour travestir le présent en un futur proche qui tient de l'apocalypse. Si la dénonciation sociale apparaît systématique et souffre d'une légère tendance à faire quelque peu catalogue, si les scènes de dégénérescence et de déréliction sont trop nombreuses pour composer un tableau parfaitement cohérent, si Christophe Lartas force bien évidemment et volontairement le trait, on ne peut dénier à cette nouvelle une puissance évocatrice qui par moments fait frémir, et n'est pas sans évoquer, sur le plan pictural, certaines scènes de chaos et de bacchanales telles qu'elles furent imaginées par Philippe Druillet.
À travers «Le Cycle», Christophe Lartas reprend de façon transparente, avec son goût pour l'excès qui parfois frôle la joyeuse potacherie, diverses thèses critiques jetées sur notre société, notamment par Philippe Muray pour l'omnifestivité et l'omniconvivialité et par Pascal Quignard pour la haine du jadis. Il y décrit l'agonie de notre monde à la dérive, subitement et violemment recolonisé par les animaux et végétaux que l'homme avait méthodiquement éradiqués de la planète -- une nature cette fois ouvertement haineuse, dont le retour signera la fin de la civilisation. Un conte satirique, désespéré, et lui aussi parfaitement noir.

Une seconde oeuvre plus ambitieuse, un auteur en devenir
Avec «Saturne», second volume de la collection NoKhThys publié en 2007, Christophe Lartas avait livré un récit sanglant, excessif (mais le «Saturne dévorant ses enfants» de Goya n'est-il pas, lui aussi, passablement sanglant et excessif?), qui pouvait paraître souffrir d'une certaine facilité. Avec ces quatre nouvelles, l'auteur tend à élargir sa palette et à faire preuve de plus d'ambition.
On aura toutefois quelques reproches à lui formuler, essentiellement au niveau du style, et très particulièrement pour la nouvelle intitulée «Marssygnac». L'écriture y apparaît en effet trop ampoulée pour être fluide, avec une certaine lourdeur née de la redondance et de l'emploi de formules toutes faites, ainsi que d'une profusion incontrôlée d'adjectifs. Une écriture qui n'est donc pas tout à fait maîtrisée et reste perfectible, pour une nouvelle qui détonne par rapport aux trois autres.
Quoiqu'il en soit, les récits de ce volume s'inscrivent parfaitement dans la ligne éditoriale de la collection NoKhThys. « Poètes à l'âme obombrée par la Ténèbre, philosophes noirs...»: à n'en pas douter, l'auteur en fait pleinement partie. Ses récits ne laissent en définitive filtrer aucune lumière, n'accordent strictement aucun espoir. Et l'auteur se montre capable de s'inscrire tout aussi bien dans la veine moderne, pour «Megalopolis» et «Le Cycle» que dans le conte symbolique, avec «Marssygnac» et «Satanachias».
Si l'on en croit la notule consacrée à l'auteur, Christophe Lartas devrait publier, également aux éditions La Clef d'Argent, un recueil de poésies et des poèmes en prose intitulé «Howard Philips Lovecraft, bloc d'éternité». On ignore s'il sera édité dans la collection NoKhThys, mais il est sûr en tout cas que ce volume méritera toute notre attention.

Hilaire Alrune

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Yozone, 23 mai 2011.

Sentences létales, recueil d'aphorismes de Nihil Messtavic.

Après une introduction signée Vedma Nadasty, l'ouvrage s'articule en quatre parties : «L'ennui d'être», «La lassitude d'exister» (une référence directe à «La tentation d'exister» du philosophe d'origine roumaine Emile Cioran), «Le vide fuyant», et «Moribonde humanité». Quatre entames qui en disent long sur les intentions de l'auteur, et sur les propos qu'il s'apprête à y développer.

La quête du désespoir
«Quelle délicieuse quête que de chercher le désespoir absolu» : voilà qui résume assez bien le volume. À travers les thèmes de l'absurde, de la mort, du rejet, de la négation de la réalité, l'auteur effectue à travers les méandres du doute et du pessimisme une déambulation singulière. Un voyage qui par essence ne pourra pas déboucher sur autre chose que le néant, puisque chercher sa voie en suivant le fil d'Ariane n'expose qu'à une irrémédiable fatalité : «trouver le noeud coulant au bout».
Ce désespoir que l'auteur recherche et cultive s'accompagne d'une solitude elle aussi voulue, mais rendue inévitable par sa singularité même. Car si ceux qui transportent dans leurs poches des «précis de solitude, de misanthropie, de lucidité et de désespoir», sont nombreux, nul ne semble les lire, nul ne semble capable de les comprendre. Ainsi, tandis que le misanthrope est un «miroir parfait», le reste de l'humanité n'est «rien d'autre qu'un aveugle qui essaie de se voir dans un miroir», condamnant par la même l'auteur à la recherche de la «symphonie solitaire de la salvation pure.»
«Renoncer aux plaisirs et adopter la souffrance, voilà la posture de celui qui fut philosophe puis poète». Mais à force de cultiver désespoir et souffrance, à force de soigner sa solitude et d'utiliser sa bile comme substance nutritive d'un rejet florissant et définitif du monde, ne vaudrait-il pas mieux, tout simplement, disparaître?

«À moi le néant!»
Il est toujours possible d'envisager la mort comme solution, suppose l'auteur qui écrit qu'on «a raté sa vie tant qu'on n'y a pas mis un point final», et qui s'insurge contre l'étrange habitude qu'ont les suicidants de laisser derrière eux une lettre explicative, estimant qu'au contraire ce sont les vivants, dont l'existence n'est rien d'autre qu'un «vide décoré de grotesque», qui devraient chaque matin justifier leur incompréhensible propension à prolonger leur existence. Et d'estimer, lassé par la «mécanique funèbre du physiologique», que «mieux vaut être pendu haut que de vivre en bas».
Mais en finir avec la vie serait en finir avec le désespoir, un désespoir à l'évidence si doux à cultiver que quitter ce bas monde, même si la vie n'est qu'un leurre, même si la réalité n'est qu'une hypothèse, serait tout de même, en définitive, perdre un petit quelque chose. Reste le dilemme, une question par essence sans réponse, parce que «la conscience de l'absurdité absolue ne résout rien». Dilemme et désespoir, peut-être est-ce là la solution.

Une tradition littéraire
On devine, à travers cette désespérance volontiers théâtrale, à travers cette bile volontairement surchargée d'acide, la jubilation d'en rajouter encore et encore. Il y a, dans la culture du cynisme et du désespoir, un entrain paradoxal, un enthousiasme à cultiver la férocité froide et l'exagération en tant que style et pensée, qui, en sus d'une pincée de provocation stimulante, rend de tels ouvrages agréables. Un exercice intellectuel qui malgré ses outrances n'a rien de facile -- on est là dans un domaine où la distance entre la formule percutante et la platitude définitive est bien mince --, un travail d'écriture qui n'a rien d'une foucade, et dont les origines remontent très loin dans l'histoire des Lettres.
Car les «Sentences Létales» de Nihil Messtavic s'appuient en effet sur une longue et abondante tradition littéraire. Tradition antique tout d'abord, avec les cyniques tels Diogène de Sinope, mais aussi ses précurseurs et ses avatars, qui, du quatrième siècle avant Jésus-Christ jusqu'au cinquième siècle, empêchèrent les optimistes et les philosophes bien-pensants de tourner en rond. Tradition classique ensuite, avec notamment les dix-septième et dix-huitième siècles, et les faiseurs de maximes comme François de la Rochefoucauld, ou, plus noir, plus désespéré, Sébastien-Roch Nicolas, plus connu sous le nom de Chamfort. Mais si ces derniers étaient plus proches de l'anecdote, plus proches de travers de personnages définis et de défauts précis de la société, Nihil Messtavic, s'il en partage abondamment l'esprit, se refuse à décocher ses flèches sur des cibles aussi secondaires. Il en a après l'humanité et l'existence en général, et son désespoir cultivé jusqu'à l'hypertrophie englobe, pour reprendre une formule désormais consacrée, «la vie, l'univers et le reste».
Parmi les modernes, c'est du côté des aphorismes d'Emile Cioran -- d'ailleurs cité dans la préface -- et des définitions noires et désabusées du «Dictionnaire du Diable» d'Ambrose Bierce qu'il faut aller chercher les influences de Nihil Messtavic. À moins qu'il ne faille y voir les sources d'inspiration de Vedma Nadasty elle-même, si ce n'est d'un autre personnage encore. Car tout ceci fleure délicieusement la construction littéraire, l'art et le jeu de l'apocryphe, et l'auteur comme démiurge d'un autre démiurge.

Avec «Sentences Létales», les éditions La Clef d'Argent et leur directeur Philippe Gindre poursuivent donc leur exploration d'une littérature du désenchantement qui se rit des modes et s'inscrit résolument en marge de la littérature contemporaine. Promouvant depuis deux décennies le conte fantastique classique, portant haut le flambeau d'une littérature exigeante abandonnée par l'immense majorité des éditeurs, cette maison ajoute donc, à contre-courant des grandes tendances actuelles, un nouveau domaine à son corpus. Une audace et un courage éditorial qu'il faut, une fois de plus, saluer.

Hilaire Alrune

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Questions SFFF, 8 février 2011.

Le jardin des délices, roman d'Éric Cerle.

Les éditions La Clef d'Argent l'ont classé dans leur collection FiKhThon, comme une Ïuvre relevant du fantastique. J'aurais personnellement plutôt penché pour le côté inclassable, insolite et étrange de la même collection. Car si certaines des figures qui apparaissent dans le roman relèvent de l'Imaginaire, elles sont présentées comme relevant du délire du personnage principal. L'oeuvre est plus que jamais dans le réel, celui d'un esprit torturé.
L'écriture, à la fois chaotique et poétique, d'Eric Cerle, nous plonge dans le rythme effréné de la fuite d'un homme devant ses traumatismes. Rendu fou par des expériences douloureuses, il mélange son histoire à celle du XXème siècle, et même d'évènements plus anciens, liés à des sites particuliers de la ville d'Annecy.
Du récit suinte une douleur sourde, parfois sardonique, face à l'impuissance vécue, aux revendications incompréhensibles ou encore le désintérêt ou la négligence d'êtres d'influence. L'auteur compresse le temps dans un délire ou un cauchemar sans fin, dont le réveil signifie la mort.
La lecture n'est pas évidente, avec des enchaînements et logiques complexes, une sémantique très riche et de nombreuses références culturelles et historiques. Mais elle expose bien la complexité de l'âme humaine dans toute sa culpabilité. L'hommage rendu à Jérôme Bosch, dans le titre, l'illustration, mais surtout l'esprit de l'écriture, est immense de justesse et d'adéquation.
C'est une lecture... à part. L'auteur ne raconte pas une histoire, il décrit un cerveau malade ; et de belle façon. Certains passages étant un peu crus ou durs, j'aurais tendance à le déconseiller aux personnes sensibles, les plus jeunes d'entre nous en particulier. J'en garde une impression de torture psychologique, à laquelle il est difficile d'échapper.
Si tout cela ne vous effraie pas, je vous souhaite une très bonne lecture (possible depuis 2010).


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Diérèse n°51, janvier 2011.

Le dernier roi des elfes, roman de Sylvie Huguet.

Sylvie Huguet est nouvelliste et romancière. Elle est l'auteur de plus de cent nouvelles - explorant toutes le registre fantastique - publiées dans les revues Brèves, Solaris ou encore Encres Vagabondes. Elle a également publié deux romans: Le Printemps des Loups et Le démon aux digitales. Le dernier roi des elfes, paru en 2010 à La Clef d'Argent, est son troisième roman. Dans ce roman comme dans les autres et ses nouvelles, les thèmes de prédilection de l'auteur (relations homme/nature, violence et éthique) sont re-motivés, retravaillés et réaffirmés avec force. Mêlant la forme de la chronique (imaginaire) à celles du roman d'aventure et de l'épopée, Sylvie Huguet campe, sur fond de conflit entre humains et elfes, une histoire d'amitié entre Ilgaël, roi des elfes, et un jeune humain qu'il a épargné et rebaptisé Lyndill (ce qui signifie «Sauvé» dans l'ancienne langue elfique). Élevé comme un elfe et oubliant ses origines, le jeune garçon suit un entraînement guerrier et se lie d'amitié avec le roi auprès duquel il sert comme elfe lige. Au cours d'une bataille, Lyndill tue un humain et commence à douter de la légitimité d'un conflit qui a engendré de si nombreuses pertes dans un camp comme dans l'autre. Avec subtilité et en usant d'une langue sensible et colorée, Sylvie Huguet décrit le conflit moral d'un héros en perte de repères. Persuadé de l'imminence de la défaite des elfes et afin de protéger ses amis, Lyndill rejoint les hommes pour les convaincre de faire la paix avec les elfes. Incompris et doublement accusé de trahison, il est arrêté et torturé à mort par ses frères de sang. ilgaël le retrouve et comprend que Lyndill n'a pas trahi la cause des elfes. Il lui pardonne et, devant la gravité des blessures de son ami, se résout à lui donner la mort pour lui éviter de souffrir.
Dans ce bref et envoûtant roman, la poésie la pure jouxte les hauts faits d'armes et la geste des guerriers elfiques. Lucide, Sylvie Huguet trouve des accents lyriques pour dépeindre cette amitié problématique. Elle nous invite à rejeter les préjugés et à nous interroger sur le bien fondé de la violence en réponse à la différence et à l'inquiétante étrangeté.

Alexandre Eyriès

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Epicure n°35, janvier 2011.

Sex, drugs & Rock'n'Dole, recueil de Jean-Pierre Favard.

Égérie de la scène goth underground, Edie a renié ses origines en cédant aux sirènes de la gloire. C'est du moins ce que pensent ses fans de la première heure qui n'ont pas digéré ses multiples nominations aux Victoires de la Musique. Edie n'est pas loin de le penser, elle aussi, jusqu'au jour où un admirateur lui offre un étrange grimoire dont la lecture va lui ouvrir des perspectives inattendues. C'est alors qu'à l'issue d'un concert mémorable à Dole, au coeur de la Franche-Comté, elle disparaît mystérieusement... Pas besoin d'être de Dole pour apprécier ce roman insolite édité par une maison qui gagne à être connue.


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Sueurs Froides, 9 janvier 2011.

Le garçon doré, recueil de André-François Ruaud.

On connaît bien ANDRE-FRANCOIS RUAUD pour l'épatant boulot qu'il abat au sein des prolifiques MOUTONS ELECTRIQUES. Pour mémoire, évoquons des collections passionnantes comme LES NOMBREUSES VIES, qui publie un ouvrage par grand héros de la littérature populaire (HOLMES, LUPIN, CONAN...), ou MIROIRS, des études thématiques qui ont pour point commun avec la collection précédente d'être non seulement informatives mais aussi de très beaux ouvrages qu'on se lassera difficilement de feuilleter.
Expert dans les littératures de l'imaginaire (très bonne conférence sur la fantasy à l' ECRIT DE LA FEE dijonnais l'an passé), RUAUD est aussi un écrivain doté d'une belle plume, comme l'attestent les nouvelles recueillies dans LE GARCON DORE, à LA CLEF D'ARGENT.
Poétique, esthétique, le fantastique d'ANDRE-FRANCOIS RUAUD, nous ouvre 8 portes vers une dimension parallèle à la nôtre, l'Autre Côté (qui fut aussi le titre d'un terrible court-métrage bisontin). Jamais horrifique, le fantastique de RUAUD cherche la beauté dans le rêve. Il s'agit d'une invitation à l'ailleurs, d'une proposition de voyage vers l'inconnu.
La magie opère souvent pour peu que l'on accepte de se laisser porter par un fantastique subtil, mais très franc (dans le sens où l'auteur aime passionnément ce qu'il décrit). Un fantastique sensible et intelligent, qui évite le piège de l'intellectualisme pour miser avant tout sur l'émotion et la sensation. Comme lorsque le thème de la Vouivre, notamment chère à la Franche-Comté, est brillamment repris, après MARCEL AYME ou MARC AGAPIT.
ANDRE-FRANCOIS RUAUD témoigne d'une réelle fascination pour l'Autre Côté et ses mystères, qu'il n'a de cesse de nous faire découvrir pour notre plaisir.

Patryck Ficini
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