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Cette page contient notre dossier de presse pour
l'année 2011. Dossier de presse de l'année: 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992, 1995, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022, 2023, 2024. |
Chronic'art, novembre 2011.
Lovecraft: Le dernier puritain, étude de Cédric Monget.
Indispensable à tout bon lovecraftien qui se respecte, l'étude rapide (80 pages) mais ô combien dense de Cédric Monget n'entend pas livrer toutes les clés de l'oeuvre incroyablement riche et complexe du gentleman WASP de Providence. Délaissant le portrait de l'écrivain en grande brute blonde si complaisamment brossé par d'autres, l'auteur se concentre sur l'athéisme et l'indécrottable matérialisme qui fondent l'irréductible spécificité de l'horreur lovecraftienne: quelle peut être la place de l'homme dans un monde auquel nul Dieu ne donne de sens? «Cette question, Lovecraft se l'est posée et y a réfléchi avec une rare acuité, depuis son plus jeune âge, lorsque la découverte des immensités cosmiques, grâce à l'astronomie, lui a fait perdre sa naïve foi dans les divinités agrestes du paganisme hellénique et romain». Un monde sans finalité où tout est vain, sans salut possible, ce que l'auteur nomme fort justement «l'homme dans le struggle for life cosmique». Couverture de Goomi.
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Dans le désert et sous la lune, recueil de nouvelles de Patrice Dupuis.
Patrice Dupuis, fort de 3 recueils de poèmes,
vient de sortir son premier recueil de nouvelles à La Clef
D'Argent, DANS LE DESERT ET SOUS LA LUNE. 3 nouvelles assez longues,
emplies... de poésie mais d'angoisse aussi. On peut même
parler d'épouvante pour les deux premières. Une
épouvante au sens large, sans vampires et autres monstres.
Quelque chose de plus subtil, sans doute.
Nous retiendrons QUAND LE
TRAIN S'ARRETE, réellement angoissante et à la noirceur
absolue. Une femme enceinte (ce qui a son importance dans
l'histoire)rencontre un mystèrieux personnage masqué dans
un train. Pourquoi voile-t-il ainsi son visage?
Plus forte encore
par sa violence même, (LE SOLEIL NE S'EST PAS LEVE CE MATIN) est
la description démentielle d'une fin du monde, avec des
scènes d'apocalypse horrifiques qui évoquent L'ANTRE DE
LA FOLIE de John Carpenter. On lit rarement un tel déferlement
de sexe et de violence en si peu de pages -- sans que cela soit en rien
gratuit, précisons-le aux censeurs de tous poils. (LE SOLEIL NE
S'EST PAS LEVE CE MATIN) est absolument terrifiante.
« Le
monde était devenu fou. C'était comme si tous les
pensionnaires s'étaient subitement échappés de
l'asile pour faire écho à la Bible, qui commande aux
humains de croître et de multiplier ». (P. 24)
Peut-être que, le jour venu, notre monde finira ainsi.
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Lovecraft: Le dernier puritain, étude de Cédric Monget.
Romancier unique et prolifique, à l'origine d'indicibles terreurs nocturnes chez beaucoup de lecteurs, créateur d'un univers horrifico-fantastique passé à la postérité, H.P. Lovecraft était un personnage étrange dont l'oeuvre ne peut être détachée de l'être: c'est l'objet de cet essai court, fluide, percutant et documenté signé par un passionné. Plus particulièrement, son objet repose sur le matérialisme athée de Lovecraft, ses convictions darwino-nietzschéennes prolongées de préjugés raciaux, ainsi que sur sa culture WASP (white anglo-saxon protestant), et leur influence sur la nature de l'épouvante chez Lovecraft. Une étude captivante dont les amateurs de H.P. vont se délecter.
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Dans le désert et sous
la lune, recueil de nouvelles de Patrice
Dupuis.
Trois nouvelles, encadrées, embrassées
plutôt. Trois textes très différents, qui laissent
la bouche sèche et le souffle court. Trois incursions de la
poésie dans l'irréel. C'est ce que nous propose Patrice
Dupuis.
Le recueil, onzième de la collection KholekTh
à La Clef d'Argent, est mince ; la couverture, inhabituelle pour
un ouvrage relevant de l'imaginaire, dérangeante, voire
rebutante. Et surprenante, tant elle ne reflète pas ce qu'elle
recouvre.
Mais comment le pourrait-elle? En trois nouvelles et
deux textes courts, Patrice Dupuis aborde des univers et des genres
différents. Fouillis, ce micro-recueil? Ce serait un comble !
Et c'est là l'un des tours de force de Patrice Dupuis : lier, de
façon presque indicible, ses cinq textes, par des échos,
une ambiance...
Mais détaillons un peu ce «Dans le
désert et sous la lune», justement sous-titré
"variations nocturnes". Un prologue nous évoquant les tortues de
mer, puis "Quand le train s'arrête" où la poésie du
désert va laisser la place à des démons, pour
frapper une femme au plus profond de sa chair, son enfant à
naître.
Tout autant que la couverture, la fin m'a fait
froid dans le dos, frisson effaçant la chaude caresse des sables
qu'on ressent presque à la lecture de la nouvelle. Mais comme
sans doute tous les jeunes parents, les histoires de foetus malingre ou
difforme ne sont pas ma tasse de thé.
Puis vient "(Le
soleil ne s'est pas levé ce matin)". Nouvelle de SF,
narrée à la première personne, journée
anormale d'un homme qui, infirmier dans un asile, se refuse à
devenir aussi fou que le reste du monde. Un homme qui garde son calme
tandis que d'autres sont déjà revenus à la
sauvagerie, pillant un monde qu'ils imaginent condamné à
court terme, usant de la force pour prendre ce que l'ordre, la
civilisation, la morale leur avaient jusqu'alors interdit de toucher.
Au milieu de cette apocalypse, l'asile semblerait presque un havre, et
les fous des clairvoyants.
"Le sursis" n'a pas lieu ce jour sans soleil, mais une nuit. Une nuit
de veille d'un veilleur de nuit. Une nuit de ronde, ronde
émaillée par la crainte sourde du veilleur de ne pas
avoir rempli correctement son registre. Chaque pas est source
d'interrogation, chaque action, chronométrée,
millimétrée par l'horodateur qui pointe les étapes
de la ronde. Et ce qui pourrait relever de la routine se vêt de
tension, la nuit se fait plus sombre, l'univers semé
d'embûches nouvelles, ces entrepôts deviennent labyrinthe
mouvant. Quelle en sera l'issue? On pourra le deviner, ou au contraire
avancer dans les ténèbres, sans rien perdre du voyage.
La "Lettre à Marina" qui clôt le recueil est un rayon
d'aube après cette nuit. Écho à la nouvelle
centrale, déclaration d'amour, elle n'est pas exempte de la
pointe de fantastique qui donne à l'anecdote contée tout
son mordant.
Finalement, malgré le sentiment diffus de
peur, d'oppression qui pèse sur les personnages et les univers
de Patrice Dupuis, on retirera de la lecture de «Dans le
désert et sous la lune» une impression de calme, d'une
lenteur propice à l'observation. Malgré les urgences
auxquelles sont soumis les personnages (la femme enceinte, l'infirmier,
le veilleur de nuit) et la brièveté des textes, jamais la
lecture ne nous presse. On se prend à apprécier chaque
phrase, chaque phase, chaque tableau, et on constate que l'auteur
accorde effectivement à ses scènes le soin du peintre
pour une toile.
Comme un bon repas, on en aurait voulu un peu
plus, mais cela aurait sans doute été trop, changeant la
saveur douce de ce recueil en sombre amertume. On gardera cependant un
oeil au menu de La Clef d'Argent, pour ne pas manquer le prochain plat
composé par Patrice Dupuis.
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Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.
Avec elle pourrait être un roman d'amour.
C'est un roman par nouvelles qui dit qu'avoir des parents n'est pas
toujours facile.
Une mère pour un enfant c'est le plus
souvent le réconfort, l'amour, la sécuritéÉ
mais parfois une mère n'est qu'une matrice qui engloutit et qui
aspire son enfant vers les tréfonds de la folie. Etre
confrontée à la folie d'une mère dépressive
peut détruire une enfant et l'empêcher de vivre pleinement
sa vie d'adulte. Quand la famille devient toile d'araignée,
quand les relations d'amour entre une mère et une fille se
transforment en un liquide placentaire qui colle à la peau et
qui entrave toute liberté, nous comprenons et partageons les
émotions d'une fillette que nous retrouvons de texte en texte
dans les personnages féminins des quatorze nouvelles. Sylvie
Huguet dépeint avec beaucoup de talent l'horreur que
représente la folie au quotidien surtout quand l'on est une
enfant et que l'on n'a aucune possibilité de s'échapper:
"Mais à sa droite, sa mère s'est cassée en deux,
les bras noués autour de la tête et le menton dans les
seins. Elle pousse des exclamations de terreur, elle exige que sa fille
l'imite, et Christelle obéit sans mot dire malgré sa
conscience du ridicule, car elle a reconnu dans sa voix une pointe
d'hystérie tragique qui lui a fait froid au coeur."
Le
père est aussi enfermé dans cet engrenage car il ne se
résout pas à quitter le domicile conjugal pour laisser sa
fille en pâture à sa femme et à sa
belle-mère. En effet, la grand-mère et la mère
entretiennent une relation fusionnelle et conflictuelle. Il a
été subjugué par les yeux verts d'une jeune femme
dont il ne découvrira la maladie mentale qu'après le
mariage. Il ne pourra se résoudre à laisser sa fille
entre les mains de sa femme qui peut être violente et suicidaire.
Un très beau recueil qui nous permet de
pénétrer au coeur d'une famille terrible. Le sujet de la
folie familiale est rarement abordé -- bien que le livre de
Marie Chartres Cette bête que tu as sur la peau, récemment
chroniqué sur le site, soit sur le même thème.
Il est important de dénoncer cette pathologie qui détruit
la vie d'un être et de ses proches. Les dégâts sur
les enfants sont inéluctables. Ils empoisonnent leur vie et
parfois les empêchent de fonder eux-mêmes une famille ou
d'établir des relations sociales équilibrées car
ils ont perdu toute confiance en eux et dans les autres: "Mais passer
une nuit avec ma mère ouvre en moi un abîme
d'épouvante : elle s'est logée dans le grand lit comme
une tumeur dont je redoute la propagation maligne. De fait, j'ai
été contaminée dès ma petite enfance. A
cause d'elle des germes délétères ensemencent
déjà mon avenir."
Comment oser échapper
à cette emprise de la folie à l'âge adulte sans
culpabilité? Comment oser être soi-même? De
terribles questions.
Ces textes sont des nouvelles mais elles
pourraient constituer le roman d'une femme de l'enfance à
l'âge mûr qui essaye par tous les moyens de ne pas se
laisser engloutir dans un liquide paralysant qui la prive de toute
liberté. Nous ressentons avec les personnages les peurs, les
dégoûts, la haine... Cette confrontation à la folie
et à l'amour dévorant et rejetant est magnifiquement
abordée par Sylvie Huguet qui nous mène dans cet univers
redoutable où nous retrouvons l'amour des animaux qui peuvent
faire rêver et emmener loin de l'enfer en frôlant les
marges du fantastique.
Ce recueil "coup de poing" ne peut laisser indifférent.
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Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.
«Allongée dans l'ombre humide, immobile
et les yeux clos, je ne puis même pas bouger un doigt. Mouche
prise à la toile, j'attends et j'ai peur. J'attends, j'ai peur
et je me souviens.» (P. 62)
Si LE DERNIER ROI DES
ELFES était une fantasy appréciable, AVEC ELLE
dépasse tout. Cette dernière production de La Clef
d'Argent, un recueil de nouvelles de Sylvie Huguet, touche à la
perfection. Est-on dans le fantastique ou dans l'horrreur? Au sens
large, qui est la marque des lecteurs ouverts d'esprit,
assurément oui. L'ambiance est aussi étouffante que
terrifiante. On songe parfois à L'ISOLA de Alda Teodorani
(Editions de l'Antre) pour la folie, l'atmosphère
déliquescente et les rapports malsains qui lient les personnages
d'une même famille.
Sylvie Huguet, auteure de 150
nouvelles (!) a une plume magnifique et on a très envie de lire
son second recueil chez le même éditeur. On ressent
réellement la douleur des protagonistes. Tous ces textes ont en
point commun les relations sordides d'une mère folle et de sa
fille victime comme on peut l'être d'une araignée.
AVEC ELLE aurait pu donner un (excellent) roman; en choisissant
d'écrire 14 nouvelles sur la même thématique (la
dégradation d'une famille, le pourrissement des existences, la
faute à la démence), Huguet signe un remarquable recueil,
jamais lassant ou répétitif. Juste le
développement d'une véritable obsession d'auteur.
La lecture n'en est pas facile, car la souffrance intérieure est
intense. Les gens trop sensibles risqueront d'y laisser des plumes,
voire de quitter le livre en cours de route. Ce qui serait dommage car
on ne plonge pas tous les jours dans un petit chef d'oeuvre d'une telle
force.
Implacable. Douloureux. Profondément émotionnel.
«Sur la falaise, le bûcher ne brûlait plus. Les
braises rougeoyant sous un linceul de cendres élaboraient en
silence la résurrection future. » (P. 43)
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Avec elle, recueil de nouvelles de Sylvie Huguet.
Il y a des histoires de couples qui finissent mal.
Toujours mal. Car certains couples ne peuvent jamais se séparer.
Comme une mère et sa fille. Pour le meilleur ou pour le pire. En
l'occurrence, le pire est ici de rigueur...
Sylvie Huguet a
publié plus de cent nouvelles. Les quatorze textes
proposés ici sont donc d'époques différentes,
publiés sous des noms différents, mais tous
recèlent la même puissance, du fait de l'entité
trouble qui en occupe le centre : la mère. Objet d'amour comme
de haine, la mère hante chaque héroïne
jusqu'à l'échappatoire.
On pourrait savourer
chacun de ces textes, perles de noirceur, agglomérat de crainte,
de terreur, produit d'un amour vicié par l'excès. Les
mères de Sylvie Huguet, femmes de couples en crise comme il y a
en hélas certainement beaucoup trop, sont aigries,
égoïstes, et se cachent derrière un prétendu
amour maternel pour garder captive la chair de leur chair. Captive,
jusqu'à l'étouffement, jusqu'à priver de sa vie sa
progéniture au prétexte qu'elle lui a sacrifié ses
meilleures années.
Plutôt que les savourer un
à un, happé par l'écriture je les ai
dévorés à toute vitesse, et cette étrange
impression m'est restée, et m'habite encore : bien
qu'écrits sur deux décennies (certains datent de
début 90, la plupart sont postérieurs à 2000), il
émane de ces textes une unité, proche du
mimétisme. J'ai parfois eu la sensation de relire la même
histoire, mais c'est aussi parce que c'est toujours la même
histoire, à quelques exceptions et détails près.
Détails qui, ajoutés aux mots, mots de
l'héroïne malheureuse, mots de son âge, changent
finalement tout.
On distinguera tout de même des
schémas : la libération par l'imagination (par
l'Imaginaire avec une majuscule comme nous le défendons ici),
dans un tableau, une image, un rêve fabuleux.
«Derrière l'allée», «Coeur
d'Ébène», «La Licorne» ou
«Bûcher» entrent dans ce cadre, à la fin quasi
heureuse. «Le Veilleur» également, dans une certaine
mesure.
Mais peut-on les qualifier de victoires? Comparées
au sort qui attend fillettes, jeunes filles et femmes des autres
histoires, oui. Parfois la nasse se resserre, implacablement, comme
dans «Retour». Mais le piège est souvent subtil,
tissé des contraintes sociales, des conventions et de ces
chaînes que sont la vie en famille. La paroxysme est atteint
lorsque trois générations de femmes cohabitent, à
l'image de «Week-end», où la seule porte de sortie,
à défaut de la mort, est la folie. Un choix
cornélien qu'on retrouvera également dans
«Enfantillages»...
Le dernier schéma est
celui de la victoire, écrasante ou de guerre lasse, de la
mère, de son vivant ou pas. «L'aigle au poing» se
"contente" d'une humiliation, mais «Avec elle» ou
«Les yeux verts» vont jusqu'au dernier souffle de l'une des
combattantes. Et le nôtre, longtemps retenu, par la même
occasion.
Peut-être connaissiez-vous
déjà Sylvie Huguet. À ma grande honte, et
malgré son abondante production, ce n'était pas mon cas.
Aussi tous les textes m'étaient-ils nouveaux, inédits
comme rééditions ici à parts à peu
près égales. Le talent dont elle fait preuve sur le
thème abordé, confondant la répétition et
l'originalité, multipliant les voies (sans issue) depuis un
même départ, est époustouflant.
En restant à La Clef d'Argent, on pourra également la
lire dans son recueil Le Passage,
dont la couverture est également signée Sébastien
Hayez, ou le court roman Le Dernier Roi des
Elfes.
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Lovecraft: Le dernier puritain,
étude de Cédric Monget.
Fascinant écrivain que Lovecraft, bien
sûr. Ses univers et ses créatures ont assurément
révolutionné le fantastique, l'épouvante et la
science-fiction au début du vingtième siècle.
Comme si cela n'avait pas suffi à la légende
lovecratienne, l'homme, que l'on découvrit à travers son
incroyable correspondance avec des gens connus, tel Robert Ervin
Howard, et moins connus, passionna bien vite ses fans autant que ses
écrits - ou presque. Il faut dire qu'H.P.L. avait une
personnalité originale, voire étrange, et des opinions
sur un très grand nombre de sujets. Des opinions parfois
discutables dont on se servit à tort pour démolir
l'auteur. Or, qu'on le veuille ou non, le racisme et la misanthropie
lovecraftiennes sont au coeur de son oeuvre. On ne peut juger un
artiste aux mauvais sentiments qui l'animent, telles des opinions
politiques, aussi contestables soient-elles. On peut certes les
reprocher à l'homme; en aucune façon, à
l'écrivain. Ce dernier ne doit être jugé qu'en
fonction de sa créativité et de son talent.
Cédric Monget est l'auteur de LOVECRAFT LE DERNIER PURITAIN,
à la CLEF D'ARGENT, une étude passionnante qui revient
là-dessus mais aussi et surtout sur lesoptions religieuses,
athées même si entachées du puritanisme de sa
région natale, de Lovecraft, elles-aussi indispensables pour
saisir les fondements de la mythologie qui sous-tend une bonne part de
son oeuvre. Il pourrait paraître paradoxal pour un athée
d'avoir créé des dieux, fussent-ils extra-terrestres, et
des cultes ténébreux. Il n'en est rien, comme le
démontre Monget. Lovecraft joua avec la religion comme avec
l'occultisme, en étant profondément conscient
d'écrire de la fiction - même si d'aucuns, peut-être
naïfs, pensèrent ensuite le contraire!
LE
DERNIER PURITAIN, peut-être à réserver davantage
aux connaisseurs qu'aux néophytes, évite l'écueil
de l'intellectualisme universitaire, souvent illisible et ennuyeux,
pour respirer, tout simplement, l'intelligence et la culture.
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Scribuscules, recueil de Jacques Fuentealba.
Jacques Fuentealba réussit la gageure,
pour la Clef d'Argent, d'écrire 365 micro-nouvelles
fantastico-humoristiques ! Comme il l'est dit en quatrième de
couverture, il s'agit là d'un genre bien français (un
exercice de style devrait-on dire) dans lequel s'illustrèrent
notamment les plus connus Jean-Pierre Andrevon et Jacques Sternberg.
L'ouvrage s'avère plutôt réussi. Certes, l'humour
est souvent très lourd (les jeux de mots) mais drôle
malgré tout. On retiendra plus particulièrement les
chapitres consacrés à Lovecraft et aux
vampires.Même si on parle aussi d'Alice, de loups-garous ou du
joueur de flûte de Hamelin.
Quelques micro-nouvelles pour se mettre en bouche:
«Cendrillon n'eut jamais de nom plus approprié que ce jour
où, devenue une vampire pâle comme la mort, elle
décida de prendre son premier -- et dernier -- bain de
soleil.»
«Dracula comptait bien que la bataille
s'achève sur un bain de sang. Il lui faudrait au moins
ça, avec un peu de mousse et des canards en plastique, pour se
détendre.»
«Alice se trancha les veines avec
un éclat de verre. Elle allait enfin passer de l'autre
côté du miroir.»
«Le nez collé
contre le miroir, à sniffer une ligne de coke, Alice se demanda
quand elle arriverait de nouveau à passer de l'autre
côté.»
«Un bon traducteur (d'horreur) est un traducteur mort.»
Étonnant petit recueil!
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La soixante-cinquième case, recueil de Philippe Vidal.
N'allez point chercher loups-garous,
sorcières, vampires et autres personnages du mon de merveilleux
et étrange du fantastique. Non, Philippe Vidal explore un
fantastique la65ecase_vignette.jpg feutré, celui que l'on peut
ressentir entre sommeil et éveil, lorsque notre esprit
vagabonde, soumis à aucune contrainte, à aucun interdit
cartésien, à aucune logique, empruntant des chemins de
traverse incontrôlés. On sait que c'est faux, et pourtant
on ne peut rectifier le déplacement de notre conscience au
risque de se réveiller et de plonger dans un réel
peut-être plus fantasque ou, au contraire, trop terre à
terre.
Alors on se laisse bercer sur les ailes de la
littérature, s'inventant des histoires, échafaudant une
mise en scène, prolongeant notre rêve et ne le quittant
brutalement qu'à regret.
Philippe Vidal dans les dix-sept
nouvelles qui composent ce recueil, se complait à évoquer
au travers des textes Jorge Luis Borges, des auteurs sud
américains, Georges Perec, et bien d'autres dont Raymond Carver.
Tout est dit, écrit ou presque dans la nouvelle
intitulée Le Jardin qui parle. A un interlocuteur qui lui
demande pourquoi avoir écrit Le jardin qui parle, l'auteur
répond : Il se trouve que j'ai parfois -- comme tout le monde,
en fait -- des sortes de vision... Rien de mystique, des images qui se
forment dans mon imagination, et plus rarement des phrases... Non, en
fait ça a commencé à un concert de Magma. Vous
connaissez Magma ? (A ce sujet vous pouvez consulter mon article sur
Magma).
Pas d'action, ou peu, surtout des réflexions, des
mises en scène, malgré une présence
policière, militaire, dans ces nouvelles, mais quoi de plus
normal puisque Philippe Vidal explore l'ambiance sud-américaine,
principalement vénézuélienne et argentine.
Mais l'écriture joue aussi un rôle principal, comme dans
Les livres invisibles, sorte de parabole sur l'évanescence de
l'écrit et de la parole face à un régime
militaire. Les livres invisibles sont des ouvrages écrits par Le
Faiseur. L'Ouvreur qui passe son temps dans un café en compagnie
du Diseur, cruciverbiste acharné, même s'il sèche
sur des mots simples de trois lettres avec un U au milieu, l'Ouvreur
invite son ami chez le Faiseur. Et le Diseur découvre avec
étonnement que le Faiseur écrit ses ouvrages avec une
encre qui a la particularité de s'effacer presqu'aussitôt
que les mots sont rédigés. Certains subsistent
partiellement le temps de les décrypter puis hop, comme par
magie ils s'en vont, aspirés dans le néant. Des ouvrages
qui pourraient peut-être se révéler subversifs,
mais ne seront jamais condamnés au pion ou à
l'autodafé puisque les textes sont invisibles.
Des nouvelles qui ne sont pas si anodines que cela et font
réfléchir
sur la société.
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Nouvelle édition du CODEX ATLANTICUS, la
vingtième pour être précis. L'Anthologie permanente
du fantastique (de tous les fantastiques pourrait-on dire) est toujours
un moment attendu dans la vie du fantasticophile amateur de bonne
littérature. On sait en effet le bon goût et les
excellents choix, généralement, de LA CLEF D'ARGENT, une
toute petite maison d'édition qui n'a rien, mais absolument
rien, à envier aux plus grandes, qualitativement parlant.
Bien sûr comme dans toute revue ou recueil de nouvelles, tout ne
plaira pas à tout le monde. C'est naturel: dans ce contexte il
en faut justement pour tous les goûts.
Cette année,
nous retiendrons plus particulièrement quelques textes comme
l'émouvant A L'ABANDON. Stéphane Mouret,
co-créateur du célèbre Club Diogène,
évoque ici, dans un style complètement différent,
des thèmes aussi forts que la vieillesse, la solitude, la
culpabilité et, bien sûr, la mort. Quoi de mieux que le
fantastique d'atmosphère pour traiter ce sujet des personnes
âgées qu'on traite comme des morts-vivants alors qu'elles
sont encore bien vivantes, comme nous? L'écriture est belle,
jamais larmoyante mais constamment émotionnelle, et la fin a
quelque chose de marquant.
REQUIEM POUR UNE LICORNE est tout
aussi beau. On peut faire confiance à Sylvie Huguet pour
évoquer la fin d'une créature féérique,
après son plus que réussi DERNIER ROI DES ELFES
(même éditeur). On pense aussi, et bien entendu, au joli
classique du film d'animation LA DERNIERE LICORNE. Très beau
début: «La licorne est morte cette nuit, ou
peut-être ce matin, dans cet entre-deux où pâlissent
étoiles et ténèbres».
VENENEUX permet
de retrouver le mystèrieux Nihil Messtavic en grande forme pour
un récit vraiment sinistre et pessimiste. On
préfèrerait presque le Messtavic nouvelliste que l'auteur
plus célèbre des aphorismes qui l'ont consacré.
Certains passages sont hallucinants: «Face à face, il me
lança sans vergogne sa méphitique haleine au visage.
Lorsque je levai les mains pour me défendre, sûr que de
l'acide rongeait ma peau, les autres crurent que j'applaudissais et,
simiesques, se mirent à frapper leurs mains l'une contre
l'autre» (P.60)
Pour conclure, si LA COUSINE MAUDITE est
sympa (Jean-Pierre Favard est aussi l'auteur d'un SEX, DRUGS ET
ROCK'N'DOLE dont nous avons déjà dit grand bien ici), LE
VISAGE DE LA BETE est carrément un sacré bon récit
d'horreur moderne, sans bavure et sans concession. Pas étonnant
que son auteur Romain Billot soit fan de Clive Barker et autres
maîtres de l'horreur contemporaine. «Une créature
hideuse, repoussante, aux poils hirsutes, s'attaquait sauvagement
à lui. (...) Des griffes puissantes lacérèrent ses
vêtements et les chairs tendres de son abdomen de buveur de
bière, y ouvrant de larges brèches qui ne
tardèrent pas à charrier des flots
écarlates.» (P.79)
Saluons encore la grande
variété du fantastique présent en ces pages, signe
de l'évidente ouverture d'esprit de La Clef d'Argent.
Notons aussi, et une énième fois, la très belle
couverture de Tiffanie Uldry/Mélusine, un très grand
talent qui s'attaque visiblement ici au célèbre duo
Coolter et Quincampoix, d'ailleurs présent aussi dans
l'inévitable nouvelle finale de Philippe Gindre, grand patron de
La Clef d'Argent et homme au goût très sûr.
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La soixante-cinquième case, recueil de Philippe Vidal.
Des parties d'échecs qui brûlent les
jours... Mais cela, au seul titre, vous vous en doutiez. Mais il y a
dans ce livre une myriade de pépites, d'étincelles... De
tentatives, de morceaux arrachés à quelque ailleurs...
Si c'est, on le comprend vite, "Infiniment pleurer", entre autres, qui
donne son nom au recueil, ce n'est pas cette histoire de parties
d'échecs dévorantes qui a su le mieux capter mon
attention.
Philippe Vidal fait montre de sa passion pour Borges,
et les textes qui lui rendent hommage sont très beaux, assortis
d'une dimension fantastique indéniable, instillée d'une
petite phrase, d'un mot, d'une tournure qui vous retourne toute la
nouvelle. Vidal aime à brouiller les pistes, que ce soit dans
"Radio-réveil", "Critique du sixième sens", "Histoire
d'à côté" ou l'ultime "Mort de Carlos Velasquez".
Ce sont là des textes sur lesquels on se torture les
méninges passée la dernière ligne, avant
d'hésiter à les relire, pour peser chaque mot, trouver la
moindre piste manquée, échouer finalement. Mais
réitérer le plaisir exigeant de chaque phrase.
Néanmoins, sans sombrer dans le léger, Philippe Vidal
sait faire preuve de la même puissance stylistique pour des
textes quasi humoristiques, comme "La présence de la Garde
Nationale dans les rues est préventive" (qui, inspiré de
faits réels, demeure grave), "Le jardin qui parle" (ou l'art
d'une interview où l'on apprendra tout sauf ce de quoi on
parle), la brève "L'omission" qui marque la victoire
pathétique de l'Homme sur l'univers, le politicard "L'abolition
des problèmes", presque trop beau pour être vrai
(hélas si, ou presque...)
Mais... Deux textes m'ont encore
plus marqué: "Les enfants", tristement cruel, et surtout "Les
livres invisibles", entre anticipation et SF, où dans un climat
de guérilla envahissant la ville, un homme découvre un
écrivain de livres invisibles: et c'est dans les vides de ses
textes que se libère son imagination, seule échappatoire
au conflit qui rugit au-dehors.
Au final, presque vingt textes
dans ce petit volume qui ne laissera pas indemne. Certaines nouvelles
peuvent même laisser franchement dubitatif, mais c'est quant au
sens. Jamais la plume de l'auteur n'est prise en défaut, tout au
plus regrettera-t-on parfois, dans cette brièveté
pourtant appréciable, de ne pas avoir plus de temps pour entrer
dans l'esprit et l'atmosphère qu'il tisse et brouille sous nos
yeux.
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Le garçon doré, recueil de nouvelles d'André-François Ruaud.
Voilà plusieurs mois que je me promets de
parler de ce petit recueil, qui n'a pas reçu toute la
publicité qu'il mérite. Vous avez sans doute
croisé le nom d'André- François Ruaud si vous vous
intéressez un minimum à l'imaginaire et aux
littératures populaires: berger de l'excellente maison
d'édition Les moutons électriques, initiateur de la revue
Yellow Submarine, présentateur acharné des petits
maîtres de la fantasy dans la revue Faërie, auteur d'un
très beau guide de la fantasy (Cartographie du merveilleux) et
co-auteur de non moins intéressants essais sur la SF
(Science-Fiction, littérature du réel et Science-Fiction,
les frontières de la modernité), fin connaisseur de la
littérature populaire (découvrez les arcanes de la
Bibliothèque rouge!) ayant ressuscité la revue Fictions…
On le connaît avant tout pour ses talents de passeur, bien qu'il
soit également un excellent créateur de fictions
(notamment pour la jeunesse), ce que ce beau recueil démontre
amplement.
Sous sa magnifique couverture (premier appel au
rêve!), Le garçon doré enferme huit
micro-pépites: peu importe le genre littéraire qu'on
souhaitera leur coller (fantastique? fantasy urbaine?) car elles les
dépassent largement. C'est un recueil que l'on peut mettre dans
les mains d'un amateur de ces genres autant que dans celles d'un novice
complet: le genre n'y est souvent qu'un prétexte à cerner
la fugacité d'une émotion, la lueur d'une
sensibilité.
Huit nouvelles, donc, qui nous
entraînent dans une géotemporalité si personnelle
que l'on a l'impression de lire des souvenirs plutôt que des
récits. Que l'on se promène dans le Londres de 1920 ou de
1999, dans le Pays de Retz des années 60 ou dans le San
Francisco de 1996, que l'on suive un curieux garçon doré,
des anges en rollers ou un simple paysan, l'impression demeure: ces
nouvelles sont les ley lines d'une sensibilité. Ils
relèvent de la vision plus que du récit – mes textes
préférés sont d'ailleurs ceux qui nous donnent
à voir une trouée de fantasme, plus qu'une histoire
à proprement parler.
C'est que l'écriture est belle
et évocatrice: elle sait capturer les détails des villes
et des êtres et les faire vibrer dans les fils du texte. Sa
finesse nous entraîne vers les éclats de cet Ailleurs que
l'on désire, fantasme, touche du bout des doigts tout au long
des nouvelles et qui sert de fil d'Ariane au recueil. On est tour
à tour enflammé et mélancolique, à suivre
ces curieux éclats d'âme, ces fenêtres vers l'Autre.
C'est une lecture précieuse, que j'ai eu plaisir à
renouveler au fil de ces derniers mois, me perdant dans D'or et de
ciel, Imago, suivant Diane, Cliff et les autres dans les interstices
merveilleuses du texte et des reflets de mondes chantés par
Ruaud.
Une lecture que je vous recommande chaudement, pour ses
(nombreuses) qualités, mais aussi parce que l'acheter permet de
soutenir un micro-éditeur qui a un bien joli catalogue. Si vous
souhaitez le commander (il faut aller sur ce site), n'hésitez
pas à le feuilleter et à vous laisser séduire: ce
sont des publications choisies avec un oeil qu'on devine exigent et
acéré!
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Le jardin des délices, roman jeunesse de Éric Cerle.
Créée en 2009 par les
éditions La Clef d'Argent, la collection FiKhTon (dont nous ne
sommes pas sûrs de savoir prononcer le nom correctement) se
définit par la ligne directrice suivante: «romans
étranges et fantastiques, insolites et inclassables».
Après «Malbosque» de Gilles Bailly, avant
«Sex, drugs et Rock'n Dole» de Jean-Pierre Favard,
«Le Jardin des délices», ouvertement inspiré
par le célèbre triptyque du peintre Hyeronimus van Aken,
dit Jérôme Bosch, constitue donc le second volume de la
série. Un roman extravagant et fantasque qui s'inscrit
résolument dans la veine choisie pour cette collection.
Sous-titré «Hommage à Jérôme
Bosch», ce roman d'Eric Cerle accumule non seulement images et
références à l'oeuvre picturale de cet artiste,
mais aussi à d'autres oeuvres de la peinture septentrionale du
moyen-âge, comme le retable peint par Matthias Grünewald
pour le couvent des Antonins d'Issenheim. Des triptyques souvent riches
en effrois et en merveilles, des oeuvres rarement avares en
éléments fantastiques et qui ne sont pas sans trouver de
profondes résonances dans les grandes crises qui ont
traversé le vingtième siècle.
Car c'est en
effet à l'époque contemporaine que se succèdent
ces chapitres, séries de vignettes et d'errances dans un monde
mi-véridique mi-fantasmatique, dans un univers tissé de
souvenirs et de cauchemars, sorte de monde intermédiaire qui
n'est pas sans évoquer certains des cercles de
l'«Enfer» de Dante, et qui, à la topographie
très précise du réel, superpose les travées
labyrinthiques du songe.
Si l'auteur a choisi de se
référer à ce type de peinture qui ne
s'épargne ni le grotesque, ni l'atrocité, ni l'horreur,
c'est aussi parce qu'elle trouve, dans le monde récent ou
contemporain, des échos singuliers. Aussi ne
s'étonne-t-on pas si parmi les temps forts de ce récit
figure, outre la description des filatures où mouraient les
enfants exploités dans une ville où "Dieu n'était
qu'une tirelire pour les riches", un chapitre consacré aux
atrocités des camps de la mort, dont les réminiscences se
retrouveront plus loin dans les déclarations accumulées
d'hommes politiques négationnistes, et dans l'hallucinante
description d'un cortège de prêtres
génocidaires.
«D'ailleurs ici les vivants sont des
fantômes... Et
toi, tu n'es pas même une ombre!»
Il n'y a dans ces pages, concernant l'état du personnage
principal, aucun leurre, aucun artifice. Si l'ambiguïté
peut au départ apparaître comme un des ressorts à
la fois de la narration et de l'ambiance, les pistes et allusions
rapidement s'accumulent. L'aède -- le personnage principal -- se
voit régulièrement interpellé par des
créatures peu vraisemblables, avatars d'un seul et unique
interlocuteur qui se présente comme son double, et laisse
entendre que le chemin au long duquel l'aède dérive
à travers les étroites ruelles d'Annecy est aussi celui
qui le mènera, sinon à l'enfer, du moins du
côté de "l'attente qui est naufrage, et cependant toute
empreinte d'espoir, ni Lachésis, ni Atropos, ni présent,
ni passé, ni avenir". Ni Lachésis ni Atropos, certes,
mais une véritable déambulation dans les limbes, et une
option certaine pour le sort et la fatalité que ces deux
créatures symbolisent.
C'est donc dans ces marges
étranges que se débat le personnage en proie à une
agonie dont il n'a nulle conscience. Les avertissements de son double
ne manquent pourtant pas. "Tu n'es qu'un rêve, l'aède,
qu'un souffle, qu'une buée insignifiante, et ton royaume, une
chimère". Ses explications sont parfois même presque trop
claires: "Parce que tu rêves, l'aède, les yeux grands
ouverts entre la vie et la mort, parce que tu es dans le coma et que tu
ne sais toujours pas si c'est l'envie de revenir ou la mort aux
trousses, qui, en toi, sera la plus forte".
Mais au fil de ses
souvenirs, au fil de ses pérégrinations impossibles, le
doute finira par l'étreindre, le spectacle de ses errances par
lui apparaître anormal: "Car si c'était, à n'en pas
douter, le même endroit, les mêmes lieux de l'enfance...
tout, absolument tout lui apparaissait insolite, comme étranger,
maquillé". Et la question ne manquera pas de finir par
s'imposer: "Mais était-il encore vivant? Réel et non
halluciné?"
«Tu vois ce que ça donne quand
l'imaginaire contamine le réel? Le délire, l'aède,
le délire!»
Le personnage semble donc n'y comprendre
goutte, ou ne pas vraiment souhaiter comprendre, et se contenter d'un
simple doute. Mais peut-être n'a-t-il au contraire que trop bien
compris. Peut-être la mélopée de ses souvenirs
tragiques -- la mort de membres de sa famille, l'irréductible
nostalgie d'un amour perdu, la nausée du monde contemporain qui
perdure dans ses aspects les plus cauchemardesques-, ainsi qu'un
désespoir irrémédiable le poussent-ils à
choisir, consciemment ou non, d'en finir avec ce qui lui reste
d'existence. Et son double ne manquera pas de le lui reprocher:
"Pourquoi as-tu manqué d'audace? C'est seulement à ce
prix que le songe pouvait prétendre au réel!"
Le songe, la mort, l'art, le réel.
Si l'auteur cite ou évoque Jérôme Bosch et Matthias
Grünewald, il n'oublie pas d'autres facettes de la peinture -- par
exemple le Printemps de Botticelli -- ni la sculpture -- le David de
Donatello -- ni la musique -- Bach, Haendel, Muddy Waters -- ni bien
entendu la philosophie, en se référant explicitement
à Detlev van Uslar, auteur d'un traité sur l'ontologie du
rêve. Et c'est à travers une écriture à
nulle autre semblable - tantôt lente et tantôt convulsive,
tantôt cri et tantôt dérive -- qu'Eric Cerle tisse
sa théorie esthétique et tragique du songe: "Tous ces
regards perdus renvoyés à leur solitude,
indifférents au cadavre dont le maître met à nu les
muscles à la pointe du scalpel, lui aussi égaré
vers l'inextensible décision du nulle part où
s'échouent les rêves."
Sans doute faut-il
considérer «Le Jardin des délices» d'Eric
Cerle comme l'on peut considérer l'oeuvre peinte éponyme
de Hyeronimus van Aken: une divagation à travers l'Histoire,
à travers un paysage, à travers les effrois et les
émerveillements du réel et du songe, à travers les
méandres de l'âme. C'est donc à l'entrecroisement
de géographies ou de topographies distinctes que l'oeuvre
naît, fusionne, s'organise. Une convergence, un carrefour
improbable où cristallisent en un édifice fantasque les
étranges rejetons de la mémoire et du rêve, les
fruits de l'union inattendue entre le territoire et la folie, entre
l'agonie et la raison. Les cartes du songe, du temps et des lieux se
réarrangent en une intersection nouvelle, tissent un canevas
composite. Les méandres des ruelles d'Annecy et pour finir les
paysages somptueux du globe, les anecdotes familiales et en
définitive les grands tourments du siècle, les ultimes
schémas complexes d'une cartographie axonale, les
dernières étincelles dans l'écorce grise du cortex
avant la plongée dans le néant.
Témoignage
sans concession des immenses fractures sur lesquelles s'est
achevé le précédent millénaire,
récit d'une agonie neuronale, marée profuse et
désordonnée de souvenirs, dérive fantastique
à travers un monde onirique, florilège d'hallucinations
poétiques et morbides, valse funèbre entre éveil
et conscience, tiraillement constant, sinon écartèlement,
entre raison et folie, et pour finir engloutissement lent dans les
implacables remous du Styx: le roman d'Eric Cerle ne répond
à nulle étiquette, ne s'inscrit dans aucun genre, ne se
laisse réduire par aucune école. Impossible à
résumer, indéfinissable en quelques mots, frôlant
l'indicible, tutoyant l'indescriptible, il ne suit rien d'autre que la
ligne directrice de la collection FiKhTon: «romans
étranges et fantastiques, insolites et inclassables».
Encore une fois, les éditions La Clef d'Argent et leur directeur
Philippe Gindre, en publiant un texte atypique et exigeant, font preuve
à la fois d'originalité et d'audace.
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Chroniques de la Terre figée,
roman jeunesse de Pierre Gemme.
Une météorite a frappé la
Terre, interrompant sa rotation. Une face demeure au soleil,
desséchée, l'autre est plongée dans le froid de la
nuit. L'air est rare à la surface, autant que les survivants.
Axel et Nova sont jumeaux. Leur père, scientifique
ayant annoncé le cataclysme, a construit un abri souterrain dans
des cavernes proches lorsqu'il a compris que le monde ne
l'écoutait pas. C'est là que les jumeaux ont grandi,
jusqu'à une adolescence où leur télépathie
renforcent leurs liens.
Lorsque la nappe phréatique qui
alimente le refuge vient à se tarir, les jumeaux voient enfin
l'occasion d'aller explorer le monde extérieur à la
recherche de secours, et d'eau.
C'est le début, vous
vous en doutez, de formidables aventures. Accompagnés de leur
chauve-souris apprivoisée, embarqués dans un dirigeable
conçu par Axel, le génie pratique du duo, ils s'envolent
au-dessus de la face désertique de la Terre, traversant
l'Atlantique à sec en suivant l'ancien câble
transatlantique.
Le roman, comme leur chemin, est assez
balisé. Sautez les 3 paragraphes suivants si vous voulez garder
le mystère...
SPOILER ON
Durant cette
première partie, intitulée "Le Dirigeable des Sables",
ils vont rencontrer quelques survivants, certains amicaux, d'autres
beaucoup moins. Malgré le cataclysme, des hommes s'attachent aux
richesses du passé, pourtant inutiles, et à un rêve
de pouvoir planétaire à reconstruire. Nova, en captant
les pensées de son père, découvre ainsi qu'un des
réfugiés sauvés par le scientifiques, et qui avait
déjà l'air louche, limite patibulaire, est de
ceux-là, et fomente un coup d'État avec d'anciens soldats
échoués dans l'océan désertique.
Le
premier tiers s'achève par d'émouvantes retrouvailles des
enfants avec leur mère qu'ils croyaient disparue, tandis qu'en
lisière du jour, en Amazonie, un chaman transmet ses pouvoirs
à Nova, ainsi que l'espoir de sauver le monde...
"Les
Territoires Bleus" commencent donc ainsi: les enfants,
accompagnés de leur mère, vont donc retrouver la
météorite responsable de tout cela et tenter... allez
savoir quoi. Ils vont donc poursuivre leur périple, braver
d'autres dangers: après la soif et la chaleur, ils affrontent
les ténèbres et le froid glacé. Malgré tous
les obstacles, ils triompheront, et le monde se remettra à
tourner ; ce qui ne sera pas sans de fâcheuses
conséquences immédiates.
Conséquences
détaillées dans "Un Monde Jade", où la Terre
renaît et où les ados et leur mère, ainsi que les
peuples retrouvés en chemin, tenteront d'échapper aux
écumeurs des mers opiniâtres et de sauver leur père
des griffes d'un petit dictateur autoproclamé. Leurs pouvoirs
grandissant, Axel et Nova découvriront la présence d'un
autre groupe sur Terre, des créatures venues des étoiles
il y a très longtemps...
SPOILER OFF
Fond et forme: XXe ou XXIe siècle?
A la
lecture de ces « Chroniques de la Terre Figée », on
retrouve le charme un peu ancien des romans jeunesse inspirés
des oeuvres de Jules Verne, mais aussi de la prose adulte qui a fait
les grandes années du Fleuve Noir Anticipation. Des
péripéties à gogo, des héros
débrouillards... Cent fois on les voit morts,
échoués dans le désert, au fond d'une crevasse,
écrasés contre une falaise, pris dans les glaces, ou
simplement morts de froid... Et cent fois, un détail, une
idée, un phénomène naturel oublié les
sauve, et les porte vers leur prochaine étape...
En tant
que lecteur adulte, j'ai souvent tiqué devant ces petits
miracles, en pensant aux nombreux scientifiques qui mourraient
d'apoplexie durant certaines scènes. Pierre Gemme accumule les
contraintes et les dangers contre ses héros, et si ces derniers
réalisent certaines choses a posteriori, le lecteur un peu
tatillon (ou fort en physique-chimie) s'interrogera fréquemment
sur la présence ou l'absence d'oxygène, le
magnétisme "intermittent" de la météorite ou
encore la résistance de ces enfants à des
températures extrêmes. Mais passons, sous le couvert de
l'aventure, sur tout cela: le rythme effréné de
l'aventure fait passer au second plan ces quelques bizarreries.
On aura peut-être un peu plus de mal avec la syntaxe de l'auteur,
qui tend à mettre des virgules là où il n'en faut
pas (comme entre le sujet et le verbe) plutôt que là
où il en faut (autour d'une proposition subordonnée, par
exemple), aussi pas mal de phrases, et pas seulement des dialogues,
sonnent mal, et requièrent parfois une seconde lecture pour bien
comprendre de qui ou de quoi il est question. Il reste aussi une
quarantaine de coquilles au fil des 340 pages, mais très peu de
fautes, toujours détestables dans de la littérature
destinée aux jeunes.
Repartir à zéro
Fable écologique et post-apocalyptique, « Chroniques de la
Terre Figée » nous dresse un portrait tragique de la Terre
du futur, qu'on découvre au fil des aventures de nos
héros. Les hommes, dans ces temps difficiles, se scindent entre
les survivants sages, visant l'harmonie avec ce nouveau monde
ravagé, et les mauvais, qui continuent à piller et
détruire par goût de la violence et du pouvoir, en
espérant rétablir leur suprématie sur la surface.
Le message est certes manichéen, mais dans ce premier tome de
"redémarrage de la planète", il s'avérait
nécessaire de distribuer les rôles.
On attendra la
suite avec curiosité, en espérant que la phase
"reconstruction" prendra par exemple en compte les
problématiques actuelles en matière de
développement durable et d'écologie, et qu'Axel et Nova,
qui ont l'occasion de repartir de zéro, sauront dispenser
quelques conseils aux ados d'aujourd'hui. Au cas où une
météorite viendrait à passer...
Sans
être un chef-d'oeuvre, ces « Chroniques de la Terre
Figée » au style un peu rétro se lisent sans
déplaisir, un peu comme on regarde le dernier « Indiana
Jones »: beaucoup de choses nous paraissent trop grosses pour
être crédibles, mais l'aventure est là, et balaie
tout, jusqu'à la dernière ligne.
Et les gentils gagnent à la fin.
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Satanachias, recueil
de Christophe Lartas.
Les éditions La Clef d'Argent, qui publient
du fantastique classique depuis deux décennies, ont fondé
en 2007 une nouvelle collection baptisée NoKhThys.
«Poètes à l'âme obombrée par la
Ténèbre, philosophes noirs, chroniqueurs de la Nocturne
et hagiographes du Néant : telle est la sombre cohorte des
Enfants de NoKhThys». Sous cette ligne directrice
générale ont déjà vu le jour plusieurs
volumes à la tonalité sombre et atypique. Le recueil de
nouvelles intitulé «Satanachias», par Christophe
Lartas, constitue le quatrième bouquet de ce florilège
des ténèbres.
Quatre récits très noirs
«Satanachias» , met en scène Untel, un personnage
dont on ne sait rien d'autre que ce nom étrange, si ce n'est
qu'il parcourt sans cesse le globe à la recherche du Diable. Si
cette quête obstinée lui permet, contre toute attente, de
rencontrer un démon dont il hasarde qu'il pourrait être
également Dieu, sa confrontation avec Satanachias le fera
repartir en une quête nouvelle, à la recherche du Dieu
véritable - une quête tragique et dont la fin ne sera
peut-être pas tout à fait celle qu'il attendait. Avec
«Satanachias» , Christophe Lartas livre un conte à
la fois symbolique et affreusement pessimiste qui inscrit
d'emblée ce volume dans la ligne directrice de la collection.
Dans «Marssygnac» , l'auteur décrit la
découverte d'une tour mythique et du destin tragique de
l'imprudent qui croit y trouver l'aboutissement ultime de ses
désirs et de ses rêves. Si l'ascension de cette tour
impossible est porteuse de tous ses espoirs, la duperie sera aussi
forte que ses attentes et la redescente bien pire que la chute.
C'est avec «Megalopolis» et ses excès assumés
que Christophe Lartas s'approche le plus de son but. Si cette nouvelle,
dans sa démesure, prend par moments des aspects lovecraftiens
(elle évoque, par ailleurs, certaines pages où le
maître de Providence décrivait sa répugnance
à côtoyer d'autres races), elle représente aussi
une charge contre les travers de la société contemporaine
que n'aurait pas renié un essayiste flamboyant comme Philippe
Muray. En décrivant une sorte de «phase finale» des
quartiers sensibles relevant à la fois de l'horreur pure et de
l'anticipation sociale, Christophe Lartas pousse à leur ultime
aboutissement les travers dont souffre une certaine
société (notons par exemple les dérives
alimentaires, environnementales, sanitaires, festives,
comportementales, mais aussi de l'art et du consumérisme) pour
travestir le présent en un futur proche qui tient de
l'apocalypse. Si la dénonciation sociale apparaît
systématique et souffre d'une légère tendance
à faire quelque peu catalogue, si les scènes de
dégénérescence et de déréliction
sont trop nombreuses pour composer un tableau parfaitement
cohérent, si Christophe Lartas force bien évidemment et
volontairement le trait, on ne peut dénier à cette
nouvelle une puissance évocatrice qui par moments fait
frémir, et n'est pas sans évoquer, sur le plan pictural,
certaines scènes de chaos et de bacchanales telles qu'elles
furent imaginées par Philippe Druillet.
À travers
«Le Cycle», Christophe Lartas reprend de façon
transparente, avec son goût pour l'excès qui parfois
frôle la joyeuse potacherie, diverses thèses critiques
jetées sur notre société, notamment par Philippe
Muray pour l'omnifestivité et l'omniconvivialité et par
Pascal Quignard pour la haine du jadis. Il y décrit l'agonie de
notre monde à la dérive, subitement et violemment
recolonisé par les animaux et végétaux que l'homme
avait méthodiquement éradiqués de la
planète -- une nature cette fois ouvertement haineuse, dont
le retour signera la fin de la civilisation. Un conte satirique,
désespéré, et lui aussi parfaitement noir.
Une seconde oeuvre plus ambitieuse, un auteur en devenir
Avec «Saturne», second volume de la collection NoKhThys
publié en 2007, Christophe Lartas avait livré un
récit sanglant, excessif (mais le «Saturne dévorant
ses enfants» de Goya n'est-il pas, lui aussi, passablement
sanglant et excessif?), qui pouvait paraître souffrir d'une
certaine facilité. Avec ces quatre nouvelles, l'auteur tend
à élargir sa palette et à faire preuve de plus
d'ambition.
On aura toutefois quelques reproches à lui
formuler, essentiellement au niveau du style, et très
particulièrement pour la nouvelle intitulée
«Marssygnac». L'écriture y apparaît en effet
trop ampoulée pour être fluide, avec une certaine lourdeur
née de la redondance et de l'emploi de formules toutes faites,
ainsi que d'une profusion incontrôlée d'adjectifs. Une
écriture qui n'est donc pas tout à fait
maîtrisée et reste perfectible, pour une nouvelle qui
détonne par rapport aux trois autres.
Quoiqu'il en soit,
les récits de ce volume s'inscrivent parfaitement dans la ligne
éditoriale de la collection NoKhThys. « Poètes
à l'âme obombrée par la Ténèbre,
philosophes noirs...»: à n'en pas douter, l'auteur en fait
pleinement partie. Ses récits ne laissent en définitive
filtrer aucune lumière, n'accordent strictement aucun espoir. Et
l'auteur se montre capable de s'inscrire tout aussi bien dans la veine
moderne, pour «Megalopolis» et «Le Cycle» que
dans le conte symbolique, avec «Marssygnac» et
«Satanachias».
Si l'on en croit la notule
consacrée à l'auteur, Christophe Lartas devrait publier,
également aux éditions La Clef d'Argent, un recueil de
poésies et des poèmes en prose intitulé
«Howard Philips Lovecraft, bloc d'éternité».
On ignore s'il sera édité dans la collection NoKhThys,
mais il est sûr en tout cas que ce volume méritera toute
notre attention.
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Sentences létales,
recueil
d'aphorismes de Nihil Messtavic.
Après une introduction signée
Vedma Nadasty, l'ouvrage s'articule en quatre parties : «L'ennui
d'être», «La lassitude d'exister» (une
référence directe à «La tentation
d'exister» du philosophe d'origine roumaine Emile Cioran),
«Le vide fuyant», et «Moribonde
humanité». Quatre entames qui en disent long sur les
intentions de l'auteur, et sur les propos qu'il s'apprête
à y développer.
La quête du désespoir
«Quelle délicieuse quête que de chercher le
désespoir absolu» : voilà qui résume assez
bien le volume. À travers les thèmes de l'absurde, de la
mort, du rejet, de la négation de la réalité,
l'auteur effectue à travers les méandres du doute et du
pessimisme une déambulation singulière. Un voyage qui par
essence ne pourra pas déboucher sur autre chose que le
néant, puisque chercher sa voie en suivant le fil d'Ariane
n'expose qu'à une irrémédiable fatalité :
«trouver le noeud coulant au bout».
Ce
désespoir que l'auteur recherche et cultive s'accompagne d'une
solitude elle aussi voulue, mais rendue inévitable par sa
singularité même. Car si ceux qui transportent dans leurs
poches des «précis de solitude, de misanthropie, de
lucidité et de désespoir», sont nombreux, nul ne
semble les lire, nul ne semble capable de les comprendre. Ainsi, tandis
que le misanthrope est un «miroir parfait», le reste de
l'humanité n'est «rien d'autre qu'un aveugle qui essaie de
se voir dans un miroir», condamnant par la même l'auteur
à la recherche de la «symphonie solitaire de la salvation
pure.»
«Renoncer aux plaisirs et adopter la
souffrance, voilà la posture de celui qui fut philosophe puis
poète». Mais à force de cultiver désespoir
et souffrance, à force de soigner sa solitude et d'utiliser sa
bile comme substance nutritive d'un rejet florissant et
définitif du monde, ne vaudrait-il pas mieux, tout simplement,
disparaître?
«À moi le néant!»
Il est toujours possible d'envisager la mort comme solution, suppose
l'auteur qui écrit qu'on «a raté sa vie tant qu'on
n'y a pas mis un point final», et qui s'insurge contre
l'étrange habitude qu'ont les suicidants de laisser
derrière eux une lettre explicative, estimant qu'au contraire ce
sont les vivants, dont l'existence n'est rien d'autre qu'un «vide
décoré de grotesque», qui devraient chaque matin
justifier leur incompréhensible propension à prolonger
leur existence. Et d'estimer, lassé par la
«mécanique funèbre du physiologique», que
«mieux vaut être pendu haut que de vivre en bas».
Mais en finir avec la vie serait en finir avec le désespoir, un
désespoir à l'évidence si doux à cultiver
que quitter ce bas monde, même si la vie n'est qu'un leurre,
même si la réalité n'est qu'une hypothèse,
serait tout de même, en définitive, perdre un petit
quelque chose. Reste le dilemme, une question par essence sans
réponse, parce que «la conscience de l'absurdité
absolue ne résout rien». Dilemme et désespoir,
peut-être est-ce là la solution.
Une tradition littéraire
On devine, à travers cette désespérance volontiers
théâtrale, à travers cette bile volontairement
surchargée d'acide, la jubilation d'en rajouter encore et
encore. Il y a, dans la culture du cynisme et du désespoir, un
entrain paradoxal, un enthousiasme à cultiver la
férocité froide et l'exagération en tant que style
et pensée, qui, en sus d'une pincée de provocation
stimulante, rend de tels ouvrages agréables. Un exercice
intellectuel qui malgré ses outrances n'a rien de facile --
on est là dans un domaine où la distance entre la formule
percutante et la platitude définitive est bien mince --, un
travail d'écriture qui n'a rien d'une foucade, et dont les
origines remontent très loin dans l'histoire des Lettres.
Car les «Sentences Létales» de Nihil Messtavic
s'appuient en effet sur une longue et abondante tradition
littéraire. Tradition antique tout d'abord, avec les cyniques
tels Diogène de Sinope, mais aussi ses précurseurs et ses
avatars, qui, du quatrième siècle avant
Jésus-Christ jusqu'au cinquième siècle,
empêchèrent les optimistes et les philosophes
bien-pensants de tourner en rond. Tradition classique ensuite, avec
notamment les dix-septième et dix-huitième
siècles, et les faiseurs de maximes comme François de la
Rochefoucauld, ou, plus noir, plus désespéré,
Sébastien-Roch Nicolas, plus connu sous le nom de Chamfort. Mais
si ces derniers étaient plus proches de l'anecdote, plus proches
de travers de personnages définis et de défauts
précis de la société, Nihil Messtavic, s'il en
partage abondamment l'esprit, se refuse à décocher ses
flèches sur des cibles aussi secondaires. Il en a après
l'humanité et l'existence en général, et son
désespoir cultivé jusqu'à l'hypertrophie englobe,
pour reprendre une formule désormais consacrée, «la
vie, l'univers et le reste».
Parmi les modernes, c'est du
côté des aphorismes d'Emile Cioran -- d'ailleurs
cité dans la préface -- et des définitions
noires et désabusées du «Dictionnaire du
Diable» d'Ambrose Bierce qu'il faut aller chercher les influences
de Nihil Messtavic. À moins qu'il ne faille y voir les sources
d'inspiration de Vedma Nadasty elle-même, si ce n'est d'un autre
personnage encore. Car tout ceci fleure délicieusement la
construction littéraire, l'art et le jeu de l'apocryphe, et
l'auteur comme démiurge d'un autre démiurge.
Avec «Sentences Létales», les éditions La
Clef d'Argent et leur directeur Philippe Gindre poursuivent donc leur
exploration d'une littérature du désenchantement qui se
rit des modes et s'inscrit résolument en marge de la
littérature contemporaine. Promouvant depuis deux
décennies le conte fantastique classique, portant haut le
flambeau d'une littérature exigeante abandonnée par
l'immense majorité des éditeurs, cette maison ajoute
donc, à contre-courant des grandes tendances actuelles, un
nouveau domaine à son corpus. Une audace et un courage
éditorial qu'il faut, une fois de plus, saluer.
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Le jardin des délices, roman d'Éric Cerle.
Les éditions La Clef d'Argent l'ont
classé dans leur collection FiKhThon, comme une Ïuvre
relevant du fantastique. J'aurais personnellement plutôt
penché pour le côté inclassable, insolite et
étrange de la même collection. Car si certaines des
figures qui apparaissent dans le roman relèvent de l'Imaginaire,
elles sont présentées comme relevant du délire du
personnage principal. L'oeuvre est plus que jamais dans le réel,
celui d'un esprit torturé.
L'écriture, à la
fois chaotique et poétique, d'Eric Cerle, nous plonge dans le
rythme effréné de la fuite d'un homme devant ses
traumatismes. Rendu fou par des expériences douloureuses, il
mélange son histoire à celle du XXème
siècle, et même d'évènements plus anciens,
liés à des sites particuliers de la ville d'Annecy.
Du récit suinte une douleur sourde, parfois sardonique, face
à l'impuissance vécue, aux revendications
incompréhensibles ou encore le désintérêt ou
la négligence d'êtres d'influence. L'auteur compresse le
temps dans un délire ou un cauchemar sans fin, dont le
réveil signifie la mort.
La lecture n'est pas
évidente, avec des enchaînements et logiques complexes,
une sémantique très riche et de nombreuses
références culturelles et historiques. Mais elle expose
bien la complexité de l'âme humaine dans toute sa
culpabilité. L'hommage rendu à Jérôme Bosch,
dans le titre, l'illustration, mais surtout l'esprit de
l'écriture, est immense de justesse et d'adéquation.
C'est une lecture... à part. L'auteur ne raconte pas une
histoire, il décrit un cerveau malade ; et de belle
façon. Certains passages étant un peu crus ou durs,
j'aurais tendance à le déconseiller aux personnes
sensibles, les plus jeunes d'entre nous en particulier. J'en garde une
impression de torture psychologique, à laquelle il est difficile
d'échapper.
Si tout cela ne vous effraie pas, je vous souhaite une très
bonne
lecture (possible depuis 2010).
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Le dernier roi des elfes, roman de Sylvie Huguet.
Sylvie Huguet est nouvelliste et romancière.
Elle est l'auteur de plus de cent nouvelles - explorant toutes le
registre fantastique - publiées dans les revues Brèves,
Solaris ou encore Encres Vagabondes. Elle a également
publié deux romans: Le Printemps des Loups et Le démon
aux digitales. Le dernier roi des elfes, paru en 2010 à La Clef
d'Argent, est son troisième roman. Dans ce roman comme dans les
autres et ses nouvelles, les thèmes de prédilection de
l'auteur (relations homme/nature, violence et éthique) sont
re-motivés, retravaillés et réaffirmés avec
force. Mêlant la forme de la chronique (imaginaire) à
celles du roman d'aventure et de l'épopée, Sylvie Huguet
campe, sur fond de conflit entre humains et elfes, une histoire
d'amitié entre Ilgaël, roi des elfes, et un jeune humain
qu'il a épargné et rebaptisé Lyndill (ce qui
signifie «Sauvé» dans l'ancienne langue elfique).
Élevé comme un elfe et oubliant ses origines, le jeune
garçon suit un entraînement guerrier et se lie
d'amitié avec le roi auprès duquel il sert comme elfe
lige. Au cours d'une bataille, Lyndill tue un humain et commence
à douter de la légitimité d'un conflit qui a
engendré de si nombreuses pertes dans un camp comme dans
l'autre. Avec subtilité et en usant d'une langue sensible et
colorée, Sylvie Huguet décrit le conflit moral d'un
héros en perte de repères. Persuadé de l'imminence
de la défaite des elfes et afin de protéger ses amis,
Lyndill rejoint les hommes pour les convaincre de faire la paix avec
les elfes. Incompris et doublement accusé de trahison, il est
arrêté et torturé à mort par ses
frères de sang. ilgaël le retrouve et comprend que Lyndill
n'a pas trahi la cause des elfes. Il lui pardonne et, devant la
gravité des blessures de son ami, se résout à lui
donner la mort pour lui éviter de souffrir.
Dans ce bref
et envoûtant roman, la poésie la pure jouxte les hauts
faits d'armes et la geste des guerriers elfiques. Lucide, Sylvie Huguet
trouve des accents lyriques pour dépeindre cette amitié
problématique. Elle nous invite à rejeter les
préjugés et à nous interroger sur le bien
fondé de la violence en réponse à la
différence et à l'inquiétante
étrangeté.
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Sex, drugs & Rock'n'Dole, recueil de Jean-Pierre Favard.
Égérie de la scène goth underground, Edie a renié ses origines en cédant aux sirènes de la gloire. C'est du moins ce que pensent ses fans de la première heure qui n'ont pas digéré ses multiples nominations aux Victoires de la Musique. Edie n'est pas loin de le penser, elle aussi, jusqu'au jour où un admirateur lui offre un étrange grimoire dont la lecture va lui ouvrir des perspectives inattendues. C'est alors qu'à l'issue d'un concert mémorable à Dole, au coeur de la Franche-Comté, elle disparaît mystérieusement... Pas besoin d'être de Dole pour apprécier ce roman insolite édité par une maison qui gagne à être connue.
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Le garçon doré, recueil de André-François Ruaud.
On connaît bien ANDRE-FRANCOIS RUAUD pour
l'épatant boulot qu'il abat au sein des prolifiques MOUTONS
ELECTRIQUES. Pour mémoire, évoquons des collections
passionnantes comme LES NOMBREUSES VIES, qui publie un ouvrage par
grand héros de la littérature populaire (HOLMES, LUPIN,
CONAN...), ou MIROIRS, des études thématiques qui ont
pour point commun avec la collection précédente
d'être non seulement informatives mais aussi de très beaux
ouvrages qu'on se lassera difficilement de feuilleter.
Expert
dans les littératures de l'imaginaire (très bonne
conférence sur la fantasy à l' ECRIT DE LA FEE dijonnais
l'an passé), RUAUD est aussi un écrivain doté
d'une belle plume, comme l'attestent les nouvelles recueillies dans LE
GARCON DORE, à LA CLEF D'ARGENT.
Poétique,
esthétique, le fantastique d'ANDRE-FRANCOIS RUAUD, nous ouvre 8
portes vers une dimension parallèle à la nôtre,
l'Autre Côté (qui fut aussi le titre d'un terrible
court-métrage bisontin). Jamais horrifique, le fantastique de
RUAUD cherche la beauté dans le rêve. Il s'agit d'une
invitation à l'ailleurs, d'une proposition de voyage vers
l'inconnu.
La magie opère souvent pour peu que l'on
accepte de se laisser porter par un fantastique subtil, mais
très franc (dans le sens où l'auteur aime
passionnément ce qu'il décrit). Un fantastique sensible
et intelligent, qui évite le piège de l'intellectualisme
pour miser avant tout sur l'émotion et la sensation. Comme
lorsque le thème de la Vouivre, notamment chère à
la Franche-Comté, est brillamment repris, après MARCEL
AYME ou MARC AGAPIT.
ANDRE-FRANCOIS RUAUD témoigne d'une
réelle fascination pour l'Autre Côté et ses
mystères, qu'il n'a de cesse de nous faire découvrir pour
notre plaisir.
Le saviez-vous? Vous pouvez télécharger librement les versions pdf des recueils d'Édouard Ganche, Le Livre de la Mort et L'Ordre de la Mort. |