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Yozone, 11 octobre 2020.
Étranges
floraisons, anthologie de fantastique botanique dirigée par Jean-Pierre
Favard, Philippe
Gontier et Patrick
Mallet.
Le vert est
à la mode. Sa promotion, sa protection, ses mutations... Pour
quelles conséquences? un monde plus vert, plus propre? à
quel prix, notamment pour l'être humain? Tentatives de
réponses avec les auteurs habitués de la Clef d'Argent,
et quelques autres.
Saluons d'emblée la préface très érudite de
Jean-Guillaume Lanuque qui contredit d'emblée une quelconque
originalité du thème. Cela fait des décennies que
la SF et l'écologie se connaissent, et si vous n'aviez en
tête que «Le nom du monde est Forêt» d'Ursula
Le Guin et «Le jour des Triffides» de John Wyndham, vous
réaliserez qu'ils ne sont que l'arbre qui cache le... touffu
bosquet littéraire qui croît régulièrement
depuis des décennies.
Chaque texte est «embelli» d'une illustration finale. Je me
permets les guillemets car la plupart, ton des textes oblige, sont
plutôt cauchemardesques.
Commençons avec Philippe Gontier, et du polar avec «Mon
amie la Rose», dans lequel un mari assassin cache le cadavre de
son épouse dans sa roseraie, le temps que la police l'interroge.
Si le déroulé est classique, tout le sel est dans la
touche finale.
Direction l'Afrique avec «Le Kulu-Néré»,
où les puissances telluriques viennent en aide à un
garçon victime de harcèlement par les plus grands de son
village. Mais pour l'enfant, la magie qui s'est emparée de lui
est terrifiante, sans doute néfaste. Pierre Brulhet nous immerge
parfaitement dans l'état d'esprit de son jeune protagoniste,
terrifié par son pouvoir, et aux éléments du conte
africain, sa magie noire, il apporte quelques touches discrètes,
sur le rôle des femmes, qui contrebalancent très
agréablement la superstition masculine.
Dans «Sexburge», Céline Maltère nous plonge
dans un futur où végétal et humain ont
fusionné. Si cela commence très doctement par un cours
universitaire sur les origines controversées de cette alliance
(contre ?) nature, l'autrice amène de manière subtile son
sujet, le rend plus proche au travers de son personnage, converti mais
encore naïf, et la chute donne du piquant à cette histoire,
dans la lignée très sexuée de ses textes
précédents.
Si vous avez aimé «La Mémoire de
l'Orchidée», «Fantaisies botaniques de Mirgance et
d'Aiquose» de François Fierobe vous enchantera. Sur un ton
mi-journalistique, mi-touristique, il y narre en un va-et-vient qui va
crescendo la rivalité entre deux villages, lieux de
fééries botaniques, florales et végétales,
spectacles envirants et expériences fabuleuses, une explosion de
mystère et de beauté qui n'est pas sans rappeler le
charme trouble des «Cités Obscures» de Schuiten.
J'ai presque eu peur, car l'«Automne» de
Jérôme Sorre commence exactement comme l'excellent et
éponyme «Automne» de Jan Henrik Nielsen. Point de
plagiat car les chemins dévient, et l'auteur introduit une bonne
dose de fantastique assez terrifiant, rappelant «Cellules»,
qui vous laisse un grand frisson en travers du dos jusque dans les
dernières lignes.
J'ai eu plus de mal avec «Canopée» de Patrick
Mallet, qui nous envoie sur une lointaine planète en cours de
colonisation, avec une Humanité qui se taille un domaine
à coups de scies circulaires géantes dans une jungle
gigantesque. La trame n'est pas très originale (des colons
«appelés» par le Cœur de la forêt) mais
plutôt bien traitée. Néanmoins, des poncifs d'une
SF totalement surannée et des aberrations physiques (la
planète «tourne» autour de 3 soleils!) tout à
fait superflues gâchent profondément l'immersion.
Déception aussi avec «La grande offensive du
printemps». Stéphane Mouret, qui nous avait habitué
à des textes d'une grande sensibilité («la
friche»), signe là une histoire bancale d'un couple en
crise, mais le prosaïsme de l'écriture ne marche pas pour
décrire la lente dégringolade de leurs relations qui va
simultanément avec l'envahissement des végétaux
dans leur villa. Il y a un je-ne-sais-quoi qui manque, de l'espace, du
temps pour se glisser dans la peau du protagoniste, pour
apprécier les contradictions que lui impose sa femme... Ou bien
l'horreur arrive trop tôt...On est à rien d'une ambiance
à la Stephen King, la fin est noire à souhait, et
pourtant, j'ai eu la sensation de rester sur le bas-côté.
«L'homme qui se prenait pour un arbre» de Laurent Mantese
décrit une métamorphose, suivi par un médecin,
d'un homme isolé, seul dans sa maison. Il y a plein
d'excellentes choses dans cette histoire, une société en
crise sociale, le rôle des médecins à domicile
(déjà longuement développé dans «La
Mort de Paul Asseman», chez le même éditeur). Cela
se double, en fin de texte, d'un tableau écolo parfaitement
contemporain, une touche finale de poésie cruelle après
le réalisme de cette mutation fantastique.
Enfin, «Une belle plante» de Jean-Pierre Favard oscille
entre merveilleux scientifique à la Jules Verne et thriller
à la mode type Maxime Chattam, pour un texte pro-féminin
de toute beauté. Une étudiante accompagne une
expédition scientifique en Amérique du Sud, et
déjà durant le trajet, l'attitude des mâles ne peut
pas être imputé qu'à leurs besoins primaires.
L'avancée dans la jungle est digne des images des films
d'aventures des années 80, et l'auteur nous offre une chute aux
antipodes de nos attentes, balayant nos hypothèses en quelques
lignes horrifiantes. On regrette presque que cela s'arrête si
tôt.
Tout cela nous donne une anthologie assez équilibrée,
avec des textes aux accents lumineux, même si on a la sensation
que l'esprit de revanche contre les humains domine ces avenirs
végétalisés.
Nicolas Soffray
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