 |
|
Les lectures de l'oncle Paul, 14 janvier 2019.
C'est tous les jours pareil, recueil de Jean-Pierre Andrevon.
En 1975, à la demande de Georges Wolinski, Jean-Pierre Andrevon a fourni pour Charlie Hebdo,
auquel il collaborait depuis 1971, douze nouvelles. À l'origine il y en
avait une vingtaine, mais peut-être le côté irrévérencieux de certains
textes a fait que certaines ont été écartées par manque de place ou
parce que le Professeur Choron, qui alors était aux manettes de ce
magazine satirique, ne les avait pas appréciées.
L'on constatera que plus de quarante ans plus tard, elles n'ont pas
perdu de leur virulence et que les hommes politiques sont toujours
aussi méprisants et arrogants que dans les années 70, quoi que puissent
en dire ou faire nos dirigeants.
Ces nouvelles et d'autres avaient été éditées par Lionel Hoebeke, dans
la collection Changer de fiction au Dernier Terrain Vague, vingt-sept
au total. Les années ont passé, et il était juste et nécessaire de les
ressortir de l'oubli, de les retravailler, de leur insuffler un petit
goût de jeunesse en les adaptant à notre époque, et, en compagnie de
quelques inédits, les voilà qui s'offrent à vous, pour vous faire
sourire tout en vous confortant dans votre idée du malaise actuel et de
votre rejet d'une certaine forme, voire d'une forme certaine, de la
politique. Je ne veux pas vous laisser croire que je pense que c'était
mieux avant, mais au moins est-on tenté de dire que ce n'était pas pire.
Une colère lucide et désabusée, une violence traitée par la dérision,
la causticité et l'ironie acerbe, animent Jean-Pierre Andrevon
lorsqu'il rédige ces textes avec une plume trempée dans le vitriol.
Quel que soit le thème traité, des thèmes qui, je me répète, sont
toujours d'actualité et prennent encore plus de force au fur et à
mesure que le temps passe.
Dans «Le pet» par exemple, pet n'étant pas dans l'esprit du scripteur
cette flatulence parfois nauséabonde qui émane d'une digestion mal
canalisée mais signifie faire le guet, nous sommes en présence d'un
flic qui doit surveiller les abords d'une banque susceptible d'être
braquée. Et à la moindre approche d'une personne, ou d'un groupe de
personnes, qu'il juge suspect, ce policier n'hésite pas à user de son
arme, au grand plaisir des badauds qui applaudissent. Mais à chaque
fois il s'agit d'une bavure. Et lorsque la journée se termine et
qu'enfin des hommes, habillés comme des actionnaires, pense-t-il,
s'introduisent dans l'établissement, il ne réagit pas. L'heure de sa
fin de service vient de sonner. Naturellement s'il encourt les blāmes
de sa hiérarchie, ce ne sont pas pour les motifs décrits. Et la
sanction sera à la hauteur financière de ses méprises. À noter que pour
se fondre dans l'actualité, l'auteur précise que ce policier a prénommé
l'un de ses enfants, le petit dernier, Emmanuel en l'honneur du
président. Fayot!
Et puisque nous sommes dans le domaine policier, que penser de «En
attendant le client», dont le narrateur est un médecin exerçant son art
aux urgences de la police. Des manifestants blessés, des cabossés par
des exactions policières, une femme violée, lui sont amenés et à chaque
fois son diagnostic est totalement délirant et à côté de la plaque.
Tout ça avec la présence d'un journaliste de Libération.
Un journal de gauche, donc une quantité négligeable. Il préfère voir
l'un des gardiens de la paix présent dans le local compulser Le Figaro,
un quotidien impartial. Évidemment. Mais le ton change complètement de
registre lorsqu'on lui amène un policier blessé, le petit doigt luxé.
Le pauvre. Une fiction, pensez-vous. Naturellement.
Changeons de registre avec «La passe», qui, comme son titre l'indique
met en scène une travailleuse du trottoir. Une respectueuse comme l'on
dit lorsque l'on est bien éduqué. Mais ça, c'était avant la répression,
alors que pourtant, cette brave dame n'oublie pas de pratiquer un prix
majoré de la TVA, ce qui normalement alimente les caisses de l'État.
Hypocrites.
Dans «Le procès», nous assistons à la confrontation entre une juge d'un
āge déjà avancé et d'une jeune femme qui a porté plainte pour viol. Ce
monologue, narré à la façon de certains humoristes dont Pierre Palmade,
démontre que même entre femmes la solidarité n'existe pas toujours, la
juge accablant la jeune femme en lui signifiant:
«J'ai les idées larges, et il m'arrive moi-même de goûter aux joies
iodées de la mer pour ensuite livrer mon corps aux caresses du soleil.
Mais j'ai de la pudeur, moi, mademoiselle. Je porte un maillot. Une
pièce, s'il vous plait. Je n'aurais pas l'impudence de dilapider les
secrets de mon intimité à toute la France. Alors, je vous le demande:
ne comprenez-vous pas que la vision d'un corps féminin dénudé est un
appel non équivoque à un acte charnel?»
Je pourrais aligner les exemples de ces textes qui égratignent, qui
grattent, qui démangent, mais qui dans le même temps procurent un bien
fou, à condition que le lecteur soit en phase avec l'état d'esprit de
l'auteur, des textes qui sont autant de dénonciations de problèmes
sociologiques.
Toutefois, je vous en ai réservé deux petites dernières dont «Bilan
présidentiel», qui aurait pu convenir à quelques présidents dont en
particulier un qui collectionnait les diamants et un autre qui
appréciait la tête de veau. Mais ce bilan présidentiel semble n'avoir
été écrit que pour l'actuel locataire de l'Elysée. S'adressant à ses
concitoyens, celui-ci détaille le nombre de ses repas, de bouteilles
vidées, d'animaux tués au cours de parties de chasses, de rapports
sexuels… Je cite:
«Mes fonctions sexuelles sont normales pour un homme comme moi dans la
force de l'āge; j'ai tiré soixante-seize coups dans l'année écoulée, le
dernier en date pas plus tard qu'hier au soir dont treize dans le
réceptacle conjugal. Avouez que concernant une union de vingt-trois
ans, la moyenne est encore fort honorable.»
Et il enfonce le clou, si je puis dire, en déclarant:
«J'ajoute que les rumeurs faisant état d'une possible homosexualité sont sans fondement.»
L'emploi du mot juste!
Enfin, dans «La plume à gauche», Jean-Pierre Andrevon se met lui-même en scène. Comment? Je vous laisse découvrir son texte.
Et ce volume se termine par des «Précisions bibliographiques dont on
peut très bien se passer», mais qui m'ont semblé indispensables.
Paul Maugendre
|