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Dossier de presse

Cette page contient notre dossier de presse pour l'année 2013.
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Rouge Alice - Sylvie Huguet

Yozone, 26 octobre 2013.

Rouge alice, recueil de Sylvie Huguet.

Féminin, émancipation et nature sauvage forment le squelette de ce nouveau recueil de Sylvie Huguet. Certes, tous ces textes ont déjà été publiés, mais dans tant de revues différentes que bien malin qui n'en aura point manqué. C'est encore une fois un plaisir de lire cette auteure à La Clef d'Argent.
"Rouge Alice", la novella éponyme qui occupe la moitié du recueil, nous entraine, dans un texte morcelé, sur les traces d'Alice, une jeune fille recueilli par une grand-mère possessive et vieux jeu qui l'étouffe, alors qu'elle, avec les années, rêve de grands espaces et de loups, dont elle fait son sujet de mémoire. De retour à la maison "familiale" une dernière fois, à reculons, pour quémander des fonds, Alice n'a plus la force de courber l'échine devant la vieille: avec ses études, elle a pris goût à la vie libre. Ou sa grand-mère l'aide, ou elle part définitivement.
Et tout s'emballe: un loup est accusé de méfaits dans les campagnes. Alice, durant une randonnée, imagine... quelque chose. Le lendemain, sa grand-mère est morte. Et le flic qui enquête, hélas autrefois éconduit par Alice, ne peut pas ne pas voir que tous les indices, même les plus troublants, mènent à la jeune fille. Alice a quant à elle une autre version, mais elle n'y croit pas elle-même... Magie, mensonges, espoirs, faux-semblants, Rouge Alice oscille entre policier et fantastique, magnifié par une fine observation des relations humaines comme on en sait capable l'auteure d'"Avec Elle".
La suite est un peu plus "classique" mais toujours très bien écrit. "Le Renard bleu" reprend le thème connu du manteau de fourrure qui reprend vie et se venge de son bourreau final. Point de colère ici, juste de la tristesse. "Le dossier Mordret" fait écho aux thèmes de vie sauvage de "Rouge Alice", avec une histoire d'enfant disparu et de battue aux loups. Mais si les animaux n'étaient pas coupables ? Écrit comme un long compte-rendu de recherches, le texte captive comme tout fait-divers. "La Sève de Noël" est le pendant végétal du "Renard bleu", avec un sapin. Comparativement, elle est plus sombre et plus cruelle.
On continue dans le nouant avec "Soeur Louve", bref également, où une ado, abusée par son père, fuit, retrouvant sa nature sauvage au contact de la peau de loup étalée dans le salon. Encore une fois un thème fort chez Sylvie Huguet, qui sait instiller le malaise de telles situations en quelques mots, et les dénouer, froidement, violemment, en quelques lignes. La force là où on attend la faiblesse.
Idem de "Éveil". Un jeune homme se réveille au pays des elfes, un monde rêvé, issu de ses lectures, où il est bien plus que dans ce cruel monde réel. Où est le rêve, la réalité ? Comment passe-t-on de l'un à l'autre ? Sans la gravité qui sous-tend encore ces quelques pages, vous qui vous abreuvez d'imaginaire pourriez sourire...
Ce serait exagéré de prétendre que "Clair d'étoiles" est plus léger, car il est encore une fois noyauté par les plus noirs aspects de la nature humaine: on torture un homme, auteur sans fortune, pour lui faire avouer la cachette de son argent. Et lui, pour oublier la douleur, s'évade dans le monde fantastique enfantin auquel il a consacré sa vie. Comme dans les deux textes précédents, cette évasion sera sans retour possible.
La joie de vivre n'est pas au programme avec Sylvie Huguet. La beauté du texte, par contre, est omniprésente.

Nicolas Soffray

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Le doloromètre universel - Philippe Gontier

Yozone, 12 octobre 2013.

Le doloromètre universel, recueil de Philippe Gontier.

Figure éminente du fantastique jurassien, déjà vu à de multiples reprises au sommaire du Boudoir des Gorgones ou au commandes de l'anthologie Trains de cauchemars, Philippe Gontier révèle ici un talent certain pour un fantastique tout en légèreté, sans surabondance d'effets.
Dans "Vertige", c'est une histoire de perception du monde qui est bouleversée. Mais comme l'écrivait Dick, où est la vérité, dans ce qui est ou dans ce que l'on perçoit? Là, visiblement...
"Le Doloromètre universel" a des accents XIXe dans son sujet comme sa construction. Un savant se met en tête de percevoir et mesurer la douleur du monde, espérant y trouver un écho à sa propre peine de veuf. Avant de devenir définitivement fou.
Dans "À Charenton-le-Pont", un journaliste pigiste est chargé d'une macabre corvée: aller à l'asile récolter quelque histoire horrifique et croustillante sur les pensionnaires. Le directeur, pas dupe, se joue de lui, c'est évident. Mais la vérité l'est moins... La chute en fait un petit bijou terrifiant.
La Force relève presque de la science-fiction. Un histoire de contamination, irrésistible. Irrépressible.
Le nuage intriguera lecteur comme narrateur: sur une piste d'aéro-club, un type scrute les nuages depuis que son ami pilote est entré dans l'un d'eux... pour ne pas en ressortir. Depuis, il traque le nuage tueur pour prévenir un autre accident. Mais est-ce toute la vérité?
Les deux dernières, dédiées à Pouilly-en-Auxois, sont assez différentes: nouvelles d'ambiance avec "Sous la voûte", où un tunnel du canal est le passage vers autre chose, et écho de super-héros sur fond de violence mesquine avec "Thor à Pouilly", où une brute se voit confiée le pouvoir de la foudre, à s'en brûler les doigts.
L'ensemble peut paraître quelque peu hétérogène - on préfèrera parler d'un éventail varié, il n'en ressort pas moins un vrai talent pour le conte fantastique. Les procédés classiques font merveille: le narrateur-rapporteur soit découvre le mystère en même temps que le lecteur, soit en préserve le suspens en n'anticipant pas sur son récit. Les récits à la focale plus large, centrés sur le(s) héros malheureux de ces affaires, avancent avec la lente douceur de l'effroi inexorable.
Un nouveau petit volume indispensable au palmarès de la collection KholekTh, délectable à souhait. Juste, hélas, trop court: sept textes, de quoi tenir au mieux la semaine, en se rationnant...

Nicolas Soffray

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Le doloromètre universel - Philippe Gontier Sueurs Froides, 22 septembre 2013.

Le doloromètre universel, recueil de Philippe Gontier.

On connaît Philippe Gontier pour ses deux remarquables fanzines, NUITS BLANCHES (dans le N°4, un dossier Agapit à se procurer absolument !) et LE BOUDOIR DES GORGONES, une anthologie de textes fantastiques délicieusement surannés. On sait moins qu'il écrit aussi des nouvelles du même genre (il dessine ausi mais c'est une autre histoire !).
Ce DOLOROMETRE UNIVERSEL ET AUTRES CONTES BLEMES ET MALADIFS en est la meilleure preuve. 7 nouvelles d'une grande qualité d'écriture pour 88 pages de ce recueil publié à la Clef d'Argent, qui n'en finit pas de découvrir de nouveaux talents en la matière.
VERTIGE ouvre le bal avec la curieuse plongée dans la folie (ou pas) d'un homme en proie à l'étonnante phobie de... chuter vers le haut ! Mineur mais intéressant.
LE DOLOROMETRE UNIVERSEL, qui donne son titre au recueil, est en revanche absolument géniale. On pense presque à sa lecture à un Clive Barker du XIXème siècle. Le sujet est fort et l'exécution parfaite. Un homme décide de mesurer sa souffrance à l'aide d'un appareil de son invention... Plutôt qu'un long discours, citons un extrait du plus beau paragraphe de la nouvelle :
« C'étaient, mêlés en un seul, les cris de milliers d'êtres vivants en proie à la douleur : celui des soldats au ventre crevé qui appellent leur mère, celui des parents qui voient mourir leur enfant, celui des malades gémissant dans les draps monogrammés des hôpitaux et des hospices, celui des prisonniers torturés, des enfants battus (...) celui des chouettes clouées vives sur les portes des granges par des paysans ignorants et cruels qui tuent les lapins en leur crevant un oeil, celui du cerf forcé et de toutes les bêtes tombant sous le merlin, dépecées vivantes pour leur fourrure soyeuse, éventrées sur les tables de dissection ou massacrées pour le plaisir de l'homme (...) » (P. 25)
Malgré la qualité écrasante de ce texte, Gontier parvient à livrer d'autres pièces intéressantes : A CHARENTON-LE PONT fait assez peur avec son asile d'aliénés qui évoque le Grand- Guignol (en plus fantastique cependant).
LA FORCE travaille presque la même idée que le SUICIDE CLUB japonais (un film assez incroyable) tandis que THOR A POUILLY métamorphose avec talent un excellent épisode de CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR : LA DYNAMO VIVANTE, même si on passe de la S.F au fantastique horrifique avec ce tueur en série qui électrocute ses victimes après un (véritable) coup de foudre !
Passons sur LE NUAGE (pour les amateurs d'aviation) et SOUS LA VOUTE, aussi agréables soient-elles, pour rappeller aux amateurs que Philippe Gontier a aussi dirigé l'anthologie TRAINS DE CAUCHEMAR pour la Clef d'Argent, dont nous avons déjà dit le plus grand bien ici.

Patryck Ficini

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Isidore et le serpent à plumes - Pierre Stolze Sueurs Froides, 22 septembre 2013.

Isidore et le serpent à plumes, roman jeunesse de Pierre Stolze.

En une quinzaine de romans et avec une rubrique régulière et fort érudite dans BIFROST, Pierre Stolze est devenu un pilier de la S.F française. Son classique demeure sans doute MARYLIN MONROE ET LES SAMOURAIS DU PERE NOEL, un titre qui fait rêver et qui laisse présager beaucoup de malice de la part de cet auteur.
La Clef d'Argent réédite aujourd'hui sa série consacrée aux aventures extra-temporelles du jeune Isidore, un ado de 15 ans follement épris d'une belle jeune fille croisée au cours de ses pérégrinations. Chine ancienne, Egypte et Empire Aztèque sont au menu des trois volumes aux couvertures magnifiques de Kara.
ISIDORE ET LE SERPENT A PLUMES est un excellent roman pour ados. Plein d'humour, il est aussi romantique et, parfois, sincèrement émouvant. Isidore se retrouve plongé en pleine guerre Aztèques/conquistadors. Les scènes de bataille sont d'ailleurs très réussies et éveilleront l'attention des quelques adultes qui se risqueront à sa lecture. ISIDORE est un bouquin intelligent (Stolze ne prend pas les ados pour des anges et pour lui un chat est un chat) et mériterait de figurer en bonne place parmi les acquisitions d'un CDI de collège. C'est aussi un excellent cadeau à faire à ses enfants !
ISIDORE ET LA PHARAONNE et ISIDORE ET LE PREMIER EMPEREUR sont aussi disponibles à la Clef d'Argent qui investit ainsi le secteur jeunesse de nos librairies.

Patryck Ficini

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Le doloromètre universel - Philippe Gontier

Les lectures de l'Oncle Paul, 17 septembre 2013.

Le doloromètre universel, recueil de Philippe Gontier.

Qui n'a jamais émis l'idée, en son for intérieur, de pouvoir évaluer et éventuellement comparer son degré de douleur, lors d'une crise de migraine par exemple, à ce ressenti exprimé par des proches. A-t-on plus mal que sa collègue de travail ? Ou, même n'avance-t-elle pas des céphalées inexistantes pour se faire dorloter et obtenir un congé de maladie?
Armand de Cardonna vit en reclus dans une imposante villa dans un quartier bourgeois de Dijon. Depuis douze ans il n'est pas sorti de chez lui. Toutes les semaines son épicier lui livre les provisions nécessaires à sa survie, recueillant sur le perron le règlement de la livraison précédente. Parfois un ouvrier qui effectue les réparations nécessaires et par deux fois le médecin est venu lui rendre visite. La douleur, plus psychique que physique de Cardonna provient de la perte dans un accident d'automobile de sa femme et de son fils unique. Douze ans à rester confiné dans cette villa. Ancien ingénieur brillant, ayant créé une usine prospère fabricant des phonographes et des postes radio, Cardonna décide un jour d'inventer pour son propre usage un appareil susceptible de mesurer la douleur.
Cette nouvelle, «Le doloromètre universel», qui donne son titre éponyme au recueil nous transporte dans un univers à la limite du fantastique dans une ambiance diffuse. Les autres textes sont calqués sur ce modèle. Pas de fantastique agressif avec monstres et créatures allégoriques, mais comme un retour à l'imaginaire de notre enfance où la moindre image, le moindre ressenti pouvait entraîner l'esprit dans des mondes dont on peut se forger une perception rien qu'en regardant un nuage.
Dans «Vertige», un homme se réveille avec la sensation de vivre au plafond. La maison a basculé, le plafond est devenu plancher, et il a du mal à accepter que rien n'a changé. Les docteurs consultés n'ont rien trouvé d'anormal, peut-être un revirement comportemental, un vertige positionnel paroxystique bénin. Ses amis essayent de lui changer les idées, mais cette impression de vertige demeure, comme si le ciel et l'espace étaient devenus un gouffre sans fond.
«À Charenton-le-Pont» existe une maison de santé psychiatrique, plus communément appelée un asile de fous. Un ami du scripteur lui remet des archives datant de son grand-père qui, journaliste dans les années 1920, avait rédigé un article à la demande de son rédacteur en chef. Celui-ci voulait du croustillant. Si un article a été réellement publié, celui des archives est resté dans un tiroir.
«La Force» nous entraîne dans une succession de suicides inexplicables. Les milieux scientifiques sont dans l'expectative. Un virus pourrait-être à l'origine de cette épidémie qui prend des proportions inquiétantes du jour au lendemain. Les statistiques s'affolent et des policiers sont chargés de l'enquête. Mais par quel bout la prendre ?
«Le nuage» nous ramène à notre enfance quand regardant le ciel, nous imaginions voir un éléphant, une tête de chien, ou autre image qui se déformait sous l'impulsion du vent. Depuis des décennies un homme se tient sur les bords d'un aérodrome scrutant le ciel avec ses jumelles. Peu à peu le narrateur parvient à lier connaissance avec cet individu au comportement bizarre. L'homme lui avoue observer des nuages, et plus particulièrement un qui ressemble à une tortue, car un pilote, dont il était le mécanicien est entré avec son avion à l'intérieur de la masse mais n'en est jamais ressorti.
Suivent deux contes dont le décor se situe à Pouilly en Auxois. Dans le premier, «Sous la voûte», l'action a pour cadre le tunnel de canal de Bourgogne qui relie la Seine à la Saône. Long de plus de trois kilomètres trois-cents, il permet aux péniches de continuer leur trajet grâce à des toueurs électriques. Or il s'en passe des choses parfois dans ce tunnel. C'est ce qu'un éclusier raconte au narrateur. Quant à «Thor à Pouilly», lorsque l'on vous dit d'une personne qu'elle est électrique, ce n'est pas forcément une métaphore.
Des histoires simples, mais pas simplettes entendons-nous bien, qui n'Ïuvrent pas dans un fantastique grandiloquent ou agressif mais qui possèdent une aura diffuse, comme une évasion de l'esprit au cours laquelle on extrapole un vécu, une image, une impression, une idée. Philippe Gontier s'inspire d'une mise en situation à l'ancienne, mettant en scène le narrateur face à des amis, des connaissances qui lui livrent des anecdotes, des documents, ou en ayant lui-même été un participant involontaire d'un épisode décrit.
Philippe Gontier est un fin connaisseur de la Littérature Populaire en animant diverses revues dont Sur les rayons de la Bibliothèque Populaire qui proposait des fiches de romans anciens mais également Le Boudoir des Gorgones, au rythme de parution aléatoire avec des nouvelles jamais rééditées d'auteurs anciens des présentations de ces auteurs, souvent méconnus.

Paul Maugendre

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Le doloromètre universel - Philippe Gontier

Murmures, 17 septembre 2013.

Le doloromètre universel, recueil de Philippe Gontier.

Les connaisseurs de l'histoire de la photographie auront reconnu en couverture de ce petit livre une des photographies médicales célèbres de Guillaume Duchenne de Boulogne. Parfaitement adaptée ici au sous-titre: "et autres contes blêmes et maladifs".

Les amateurs de fantastique devraient avoir un service d'abonnement pour ce genre d'ouvrage et être assurés de les recevoir dès parution. Des amateurs de ce fantastique qui a pour grands maîtres Villiers de l'Isle Adam ou Guy de Maupassant. Un fantastique qui doit autant au thème du récit, à l'histoire qu'au style de l'auteur. Ici vous vous devez de faire attention aux mots et à leur utilisation. Un exemple: "En dépit d'une réussite sociale qu'il ne devait qu'à une remarquable intelligence et à une ambition souriante, il n'appartenait pas à cette race de notables gras, satisfaits et durs en affaires, arborant la rosette et dont certains échouent sur les bancs du conseil municipal, du parlement ou du sénat." Banal? Peut-être! Pourtant il me semble qu'un seul mot: "échouent" donne à cette phrase un petit aspect critique... Le fantastique présenté par Philippe Gontier est celui qui n'est pas dû à des "divinités", des diables extérieurs à l'homme. Il est ressenti par le héros de l'histoire et généralement tenu secret par celui qui l'a vécu: A qui me confier? Qui me croirait? Un fantastique difficile à admettre pour les esprits rationnels que nous sommes tant que nous n'avons pas été confrontés à une des anomalies que les réalités concoctent parfois... Je vous recommanderai de lire le recueil dans l'ordre et de marquer une petite pause après la nouvelle titre pour en mesurer la portée. Sept textes courts à déguster - de jour - dans vos transports en commun...

Noé Gaillard

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Soixante-six synopsis - Jean-Pierre Andrevon

Murmures, 28 juin 2013.

Soixante-six synopsis, recueil de Jean-Pierre Andrevon.

Comme j'ai la fâcheuse (?) habitude de lire plusieurs livres en même temps, il se trouve qu'avant d'entamer cet Andrevon je finissais : «Le chasseur et son ombre» (Folio SF 445) signé Georges R.R. Martin, Gardner Dozois et Daniel Abraham... et je me suis dit dommage qu'en Europe nous n'ayons pas cette faculté d'association entre auteurs. Imaginez George Panchard et Joël Houssin, Jeanne A Debats et Catherine Dufour, Serge Lehman et Jean-François Thomas... Comme nous avons eu Pierre Souvestre et Marcel Allain pour «Fantomas»...
Et Andrevon survient expliquant dans sa préface que vu son âge -- il est né en 1937 -- il n'aura pas le temps d'écrire en utilisant toutes les notes qu'il a accumulées comme matériau. Et il va jusqu'à proposer soixante-six (ou presque) de ses notes à ceux qui voudraient les continuer, les reprendre, les travailler. Oui j'ai bien dit «travailler». Car si ces synopsis montrent la polyvalence de l'auteur Andrevon, ils mettent en évidence son travail d'écrivain et le travail qu'exige tout texte. On considérera les histoires d'écrivains rédigeant sans corrections, sans erreurs comme relevant de la mythologie. Vous voulez un exemple ? Lisez les 2ème, 3ème et 4ème textes d'une traite. Vous allez sans doute constater que vous avez déjà lu ou vu ces sujets. Vous n'êtes pas loin. Mais ce n'est pas grave et cela ne leur enlève rien car même si effectivement quelqu'un les a plus ou moins traités, vous savez que c'est le style, l'écriture, le ton, le rythme imposés par l'auteur qui donnent sa valeur au texte... à l'idée... Ces courts récits, ces notions éparses donnent envie de relire Andrevon, de voir comment il parvient à mettre de la chair -- agréable à caresser du regard -- sur les petits squelettes qu'il sort de ses placards. Je suis même certain que vous trouverez de quoi avoir envie d'écrire ou/et de regarder dans vos placards.

Noé Gaillard


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Satanachias - Christophe Lartas Apocryphos, 7 juin 2013.

Satanachias, recueil de Christophe Lartas. Le titre annonce déjà la teinte de ce qui va s'ensuivre. Ce recueil de Christophe Lartas comprend quatre nouvelles étalées sur 90 modestes pages et s'inscrit dans la lignée de ces oeuvres tout bonnement inqualifiables, tant elles sont imprégnées de surprises et autres idées quintessenciées.
Une histoire, un protagoniste principal, un concept. (A chaque fois original, signe d'une verve étincelante de l'auteur, n'en doutez pas) Et d'ailleurs, ces personnages possèdent, d'une épopée à l'autre, beaucoup de semblances " caractérielles. " L'un projette maintes pérégrinations dans le but de rencontrer le Cornu et, Ð ça coule de source, taper la discut' par la même occasion ; l'autre discourt sur la société de (sur)consommation ultramoderne à l'excès (dont il est fidèle) juste avant que celle-ci ne subisse une décrépitude quasi-totale ; le tiers tente d'élucider un mythe remontant à l'âge féodal, (mais va vite déchanter et comprendre qu'il aurait mieux fait de rester chez lui, le cul posé auprès de sa chère épouse) et le dernier, quant à lui, compte bien s'enfuir définitivement de sa ville aux fondements carrément méphitiques. Bon, dit comme ça, impossible de faire de quelconques rapprochements, mais plutôt que de blablater, je vous invite affablement à vous procurer ce recueil, le lire, et constater par vous-mêmes, hein! (Début de chronique, et me voilà déjà en train de prendre la posture d'un vendeur...)
Mais qu'il s'agisse d'une quête démiurgique ou simplement d'un moyen d'échapper aux griffes peu aimantes du destin, ils (les gugus inventés par Lartas) apportent fréquemment des réflexions cerclées de misanthropie. De par leurs actions, leurs paroles, à leur su ou insu, ils sont et restent esseulés, gardant sous la veste des desseins profondément antisociaux. Dénués de tout humanisme mais ayant toutefois encore un zeste d'humanité dans leurs veines, sujets à une déréliction inconcevable, ils consacrent leurs heures à chercher sens à tout un tas d'éléments qui dépasse leur entendement, délaissent leur existence au profit d'idéalismes inaccessibles, de cette poursuite insensée vers la connaissance absolue, ou, plus brièvement, vers l'inconnu. Et à chaque fois, leurs découvertes terribles les font sombrer (Dans quoi? Mystère.) parce qu'entre autres, elles reflètent leurs versants les plus malsains. Les thèmes coïncident, Lartas semble mettre copieusement en avant les facettes ignominieuses de l'espèce humaine, son caractère délétère envers le monde. Peu importe le personnage, aux prises avec des forces supérieures, il ne saurait comprendre, ni même appréhender son libre arbitre. D'un univers qui le dépasse, isolé ou en pleine nature sur notre petite sphère en comparaison infinitésimale et insignifiante lorsqu'imbriquée dans l'infini, le résultat final est le même : lorsqu'un individu effleure une portion de vérité cosmique, la vésanie le gagne. La claustration de l'âme d'un homme, en a-t-il seulement une? Ð au sein d'un cloaque où la raison n'a plus sa place, ou bien la liberté, n'est-ce qu'un leurre parmi d'autres? Ð d'un esprit insatisfait qui incessamment foule des hectares irisés de plantes et de fleurs ensoleillées dans l'espoir d'embrasser le savoir ultime, de comprendre pourquoi la matière fut et le temps fuit. Lequel possède le sort le plus enviable? (Tatata, c'est purement rhétorique. Si t'as pigé quelque chose à mon interrogation, tu devrais toi aussi avoir la réponse. Autrement, il ne fait rien, laisse mes galimatias de côté!)
Les bons coeurs et autres philanthropes qualifieront ce livre de monstruosité, (qu'à cela ne tienne!) où violence/abjection gratuite et décors chimériques se nouent et se dénouent à volonté sans laisser l'oeil s'adapter ni même se reposer. On a vite fait de boucler la lecture, (même si je dois admettre que, par instants, cela peut très vite devenir un véritable casse-tête langagier... gardez vos dictionnaires à portée!) et pourtant notre discernement s'en trouve altéré à jamais. Les trames succinctes se succèdent, étoffées par un luxuriant style qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler certaines grosses têtes de la fantasy (celle du début XXème, je précise.) Ainsi, c'est sur fond tantôt onirique tantôt lovecraftien que se déroulent les différents récits. Au final, Christophe Lartas n'a besoin que de son talent et de son stylo pour engluer l'attention d'un esprit curieux. Rien de plus, rien de moins. Il sait comment injecter au corps fiévreux le malaise littéraire et à la conscience amollie un peu de plasma métaphysique, et il le fait (en plus) avec brio, là où tant d'autres écrivains ont échoué malgré des myriades de tomes pondus. (On appelle ça des sagas, je crois.) Sa maîtrise du genre est stupéfiante. Chaque texte, plongé dans la ténèbre la plus aveuglante, oscille entre conte et prose poétique, garni de symboles qu'il convient de déchiffrer et de pensées qui pourraient, au final, appartenir à Mr. tout le monde.

Necryos

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Soixante-six synopsis - Jean-Pierre Andrevon Sueurs Froides, 16 juin 2013.

Soixante-six synopsis, recueil de Jean-Pierre Andrevon.
Crop Circles, recueil de nouvelles de Jonas Lenn.

Mai 2013. La Clef d'Argent publie deux recueils dans la collection KholekTh (les N°21et 22!).
66 SYNOPSIS ET AUTANT D'HISTOIRES A ECRIRE est un volume rare, très original par la forme, de Jean-Pierre Andrevon. Cette publication tient de l'expérience éditoriale, et la Clef d'Argent ne manque pas d'audace - jugement tempéré il est vrai par l'importance de l'auteur, qui devrait tout de même attirer davantage que quelques curieux.Certains reprochent à Andrevon sa prolixité. Que penser alors de Brussolo, Pelot ou Arnaud? A Sueurs Froides, on apprécie tout particulièrement ces écrivains qui sortent plein de livres dans les genres les plus variés. C'est évidemment le cas de Andrevon, avec 160 ouvrages au compteur: polar, S.F (bien sûr!), horreur et même érotisme. Ce qui est intéressant chez ces très habiles romanciers et/ou nouvellistes, c'est leur capacité à se renouveler tout en imprimant leur marque dans les genres traités. Mais aussi bien sûr en conservant une qualité généralement élevée.
Andrevon avoue dans sa passionnante préface avoir écrit des centaines de synopsis, autant de romans et de nouvelles hypothétiques, qui naitront peut-être un jour ou jamais! C'est dire combien son imagination parait grande. Pour ce recueil, que l'on réservera quand même à des écrivains en devenir (les idées leur sont généreusement offertes!) ou à des fans purs et durs de Andrevon (qui veulent tout avoir), l'auteur grenoblois a sélectionné et mis en forme 66 synopsis que l'on peut aussi lire comme des nouvelles d'un genre un peu particulier.
Jean-Pierre Andrevon signe aussi la préface de CROP CIRCLES, un recueil de nouvelles S.F signé Jonas Lenn, bien connu des fans de la Clef d'Argent. De la S.F intimiste ancrée dans le réalisme que l'on peut parfois lire comme du fantastique: l'excellente UNE PORTE SUR L'HIVER en est le meilleur exemple. Andrevon s'inquiète dans sa malicieuse préface du sort réservé au chat de CROP CIRCLES, la nouvelle-titre. Ce si bel animal figure d'ailleurs en bonne place sur la peinture qui illustre son 66 SYNOPSIS! De Jonas Lenn, on avait déjà apprécié LE MAUSOLEE DE CHAIR et LA SPIRALE DE LUG, tous
deux à la Clef d'Argent.

Patryck Ficini


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Crop Circles - Jonas Lenn

Les Embuscades d'Alcapone, 11 juin 2013.

Crop Circles, recueil de nouvelles de Jonas Lenn.

Crop circles est un recueil de nouvelles aux accents poétiques frisant presque le bucolique. Pour reprendre les mots bien placés de Jean-Pierre Andrevon dans sa préface, ces nouvelles ressemblent à "une petite musique accrocheuse sans être entêtante, guillerette sans être superficielle. Toute comparaison valant ce qu'elle vaut, disons une ballade irlandaise." (p.7). C'est vrai que les univers de Jonas Lenn fortement ancrés au réel, nous emmènent sans crier gare vers des dimensions étranges où la campagne laisse place au monde virtuel, où le temps est réversible, où tout ce qui fait notre réalité peut basculer d'un instant à l'autre vers l'intangible. Mais le tout est servi avec bienveillance malgré l'espèce d'inquiétude qui se dégage des textes. Comme si le lecteur était invité à une séance de méditation contemplative, Jonas Lenn s'improvise guide spirituel dans le labyrinthe de ses douces rêveries. On y découvre notamment des cercles de culture extra-terrestres ou bien de futurs voyageurs sur Mars. Le temps et la mort y sont abolis par la transduction et le transcodage bio-informatique. Entre passé, présent et futur proche, les récits inattendus de Jonas Lenn transportent en quelque sorte le lecteur vers des songes éveillés où la frontière entre réalité et fiction est bien poreuse...
A la question de savoir si on peut considérer le style original de l'auteur comme de la science-fiction, je n'ai pas de réponse ferme : entre ciel et terre, passé et futur, vie et mort, monde réel et monde virtuel, les textes de l'auteur sortent tellement des sentiers battus qu'il m'est bien difficile d'être catégorique. Si l'on considère que ces textes ont tous été publiés dans des revues ou des anthologies de science-fiction (cf. plus bas), on sera forcé de reconnaître que Jonas Lenn fait bien partie des représentants français du genre. Jean-Pierre Andrevon en juge de même. Peu importe, Crop circles est un recueil aussi déroutant qu'agréable à lire... J'ai pour ma part particulièrement apprécié les nouvelles Crop circles et La ferme enchantée et je n'aurais qu'une recommandation à vous faire, lisez ce recueil si vous êtes curieux de découvrir cet auteur déconcertant...
Ces textes ont été publiés entre 2000 et 2007 dans diverses revues ou anthologies (Galaxies, Icare, Lunatique, Forces obscures, Moissons futures, Hyperfuturs). Ils sont ici réunis par les éditions de La Clef d'Argent.

Alcapone

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Soixante-six synopsis - Jean-Pierre Andrevon Encres Vagabondes, 9 juin 2013.

Soixante-six synopsis, recueil de Jean-Pierre Andrevon.

C'est à une expérience inédite que nous convie La Clef d'Argent avec ces Soixante-six synopsis. L'auteur s'en explique dans la préface : il a réuni, comme l'annonce le titre, soixante-six histoires ébauchées qui pourraient donner matière à roman ou à nouvelle, et qui, collationnées au cours de sa longue carrière, attendent un accomplissement définitif qu'il craint de ne pouvoir leur donner un jour. On peut trouver dans chacune le thème du récit, son déroulement projeté, sa chute, et la plupart, quelque peu retravaillées en vue de la publication, présentent déjà une certaine forme d'achèvement, si bien qu'elles peuvent se lire comme autant de short stories lapidaires aptes à susciter la curiosité, l'excitation, l'émotion du lecteur qui les découvre. Ces synopsis appartiennent à des genres divers -- uchronie, polar, science-fiction, fantastique -- mais malgré la vitalité foisonnante de l'imagination dont ils témoignent, certains thèmes y reviennent avec une fréquence obsessionnelle, comme d'ailleurs dans toute l'oeuvre de l'auteur : disparition de l'humanité, folie de la guerre totale, saccage de la planète, cauchemars climatiques ou nucléaires, et bien sûr sympathie pour les espèces dont l'homo sapiens a fait ses victimes privilégiées. Le dernier texte du recueil, "Le chant des baleines", qui est aussi le plus beau et le plus complet, évoque ainsi la revanche implacable des animaux exterminés : "La flottille, désorganisée, se fracasse contre des murailles de glace dérivante. Des centaines d'hommes s'ébrouent dans l'eau glacée où des queues gigantesques s'abattent comme autant de marteaux. L'eau est rouge, encore. Mais cette fois, du sang des hommes" Jean-Pierre Andrevon n'hésite d'ailleurs pas à noter non sans humour noir, dans l'un de ses brefs commentaires : "Sans doute serais-je prêt à tuer un grand nombre d'êtres humains, mais pas une créature animale, fût-elle génétiquement modifiée ou d'origine extraterrestre !"
Au passage, on croise aussi Sherlock Holmes et Staline, on participe à une excursion en car qui permet de "visiter" les catastrophes les plus célèbres du vingtième siècle, des tremblements de terre aux camps de la mort. On apprécie une grande variété de registres, tragique, terreur, humour, onirisme, et parfois une envoutante poésie cosmique, comme dans "La bête dans la pierre" : "Soudain, il se retrouve dans l'espace sans fin, sous le regard indifférent de milliards d'étoiles. Il sent résonner en lui la fantastique vibration du Big Bang, il éprouve la détresse cosmique de l'univers qui refroidit, poursuit une expansion sans fin. Il est la créature dans la pierre, cet oeil qui contemple l'éternel mouvement oscillant de l'Univers."
Mais le plus passionnant, le plus stimulant pour l'esprit, reste le principe même du recueil, qui permet d'épouser le dynamisme créateur de l'écrivain en dévoilant les étapes de son travail que les textes fixent comme autant d'instantanés. On découvre le rôle des rêves nocturnes, scrupuleusement notés pour engendrer le synopsis, les influences littéraires -- Buzzati, Kafka -- et cinématographiques qui l'ont inspiré. L'auteur commente lui-même le récit qu'il est en train d'écrire, pour en indiquer les développements futurs ; ainsi, on peut lire cette annotation, et d'autres semblables, dans "Le chant des baleines" : "Ces événements, qui occupent la partie centrale du récit, sont l'occasion de séquences diversifiées, où les points de vue doivent se multiplier en mosaïque." D'autre synopsis proposent deux chutes, entre lesquelles l'écrivain n'a pas choisi. "Les mauvais jours" se présente comme un début de roman jamais achevé. L'un des textes les plus significatifs est "L'Hôtel de la plage", qui livre successivement un premier jet de quelques lignes, un véritable synopsis, puis quelques pages d'une rédaction jugée définitive par l'auteur.
Soixante-six synopsis permet donc au lecteur de visiter le laboratoire intérieur où l'écrivain concocte ses oeuvres. Le recueil intéressera non seulement les amateurs de short stories frappantes, mais aussi les esprits curieux d'étudier les mécanismes de la création littéraire. On espère que Jean-Pierre Andrevon pourra donner ultérieurement, pour notre plus grand plaisir, une forme vraiment définitive à certaines de ces "histoires à écrire".

Sylvie Huguet

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Soixante-six synopsis - Jean-Pierre Andrevon

Les lectures de l'Oncle Paul, 8 juin 2013.

Soixante-six synopsis, recueil de Jean-Pierre Andrevon.

Un synopsis, c'est un peu comme l'esquisse d'un tableau pour un peintre. L'auteur couche sur le papier ses idées premières, avant de les retravailler, de le mettre en forme pour en dégager un scénario puis de convertir le tout en roman. Ou d'abandonner en cours de route le projet.
Jean-Pierre Andrevon nous livre quelque 66 synopsis qui n'ont pour l'heure pas encore fait l'objet d'un roman, des idées qui lui sont venues en voyant une scène, en écoutant quelques paroles échangées en public ou une fulgurance qui lui a traversé l'esprit et qu'il a aussitôt consignées sur une feuille afin de ne pas en perdre une miette. Car nous savons tous que ce qui n'a pas été noté dans l'instant se perd irrémédiablement dans les limbes de la mémoire.
En ouvrant cet ouvrage, je me suis dit combien celui-ci pourrait être précieux pour un auteur, débutant ou confirmé, lui offrant sur un plateau une trame dont il pourrait se servir impunément, satisfaire ainsi à une sorte de plagiat prémédité mais non répréhensible. Or en lisant son préambule, titré Eclaircissements nécessaires, je me suis rendu compte que c'est sciemment que Jean-Pierre Andrevon nous livre le fruit de ses cogitations: Je ne peux en aucune façon vous assurer que quelques unes des ébauches ici réunies ne deviendront pas, dans les années futures, ce pour quoi elles ont été crachées et conservées: un roman bien formé, une nouvelle moulée à la louche. Si ça vous amuse, vous pourrez toujours vérifier à mesure de l'écoulement du temps. Parallèlement, si l'un ou l'une d'entre vous qui allez me lire, écrivant ou écrivain, trouve dans ces récits en gésine de quoi alimenter un texte, ne vous gênez surtout pas! Les idées sont à tout le monde, en priorité à qui les exploite ; et nulle taloche publique, nulle exploitation judiciaire ne viendrait souligner ce forfait, je peux vous l'assurerÉ En attendant, je peux me dire: au moins 66 de sauvés!
N'étant pas écrivain, ni même écrivaillon, ceci ne me concerne pas au premier chef. Mais étant de nature curieux, dans le bon sens du terme, c'est-à-dire, m'intéressant à tout sauf à la vie privée, je me suis jeté goulûment sur ces textes qui couvrent une, deux, voire trois pages, guère plus à part quelques uns qui sont plus fouillés et ne demandent qu'à s'étoffer. D'ailleurs dans Le chant des baleines, le dernier texte du recueil qui porte donc le numéro 66, Jean-Pierre Andrevon se promet bien d'écrire cette histoire, qu'il y prendrait plaisir, non seulement parce qu'il est le plus complet mais aussi parce qu'il lui est le plus cher. Dont acte, monsieur Andrevon, lâchez ce que vous faites actuellement, sans vous commander, et écrivez-nous ce roman, ne serait-ce que pour votre satisfaction personnelle, pour vous sentir fier de l'avoir mené au bout, et pour ne pas décevoir vos lecteurs.
Je n'ai pas lu ces textes dans l'ordre, mais j'ai pioché dans le sommaire afin de déguster en priorité ceux dont les titres m'attireraient s'ils étaient publiés en roman. Et parmi ceux-ci, les numéros 34, Sherlock Holmes rencontre le docteur Jekyll et M. Hyde, et 35, Sherlock Holmes sur Mars. Intrigants, non?
Mais que se cacheÐt-il derrière ces titres qui en eux-mêmes font déjà saliver le lecteur impénitent? Dans le n° 34, Sherlock enquête sur le meurtre de prostituées dans le quartier de Whitechapel en cette année 1888. En compagnie d'un jeune dandy du nom de Dorian Gray, il parvient à sauver de la mort une péripatéticienne et ils suivent l'assassin jusqu'à la propriété du docteur Jekyll, lequel comme on le sait est atteint d'un dédoublement de la personnalité. Quoique clamant son innocence, Jekyll est arrêté mais est bientôt libéré, une lady étant retrouvée entièrement vidée de son sang. Or Dorian Gray est surpris un soir en train de boire le sang d'une femme. C'est un vampire qui obéit aux ordres du grand-maître, qui vit dans un manoir situé au coeur de Londres, et qui n'est autre que Dracula. Mais l'histoire n'est pas terminée. Jean-Pierre Andrevon pensait en extirper un roman, voire une bande dessinée, en ajoutant quelques personnages supplémentaires dont L'Homme Invisible de H.G. Wells. Or cette idée a été plus ou moins traitée dans une BD signée Alan Moore et Kevin O'Neill sous le titre de La Ligue des gentlemen extraordinaires.
Dans Sherlock Holmes sur Mars, tout y est ou presque, puisque quelques dialogues sont ébauchés, entre Sherlock et Moriarty ou entre Sherlock et Watson. Sans trop vouloir déflorer l'intrigue, je peux juste dire, ou écrire, que l'action se déroule en 1917 et que les Allemands affirment avoir trouvé le moyen de se rendre sur Mars. Bien entendu le gouvernement britannique envoie Holmes en terre prussienne afin d'enquêter sur cette hypothèse qui serait véritablement une première et risquerait de permettre aux Allemands d'étendre leur hégémonie et faire basculer la guerre en leur faveur. Holmes est capturé, enfermé dans un compartiment d'une fusée et s'endort abruti de somnifères. Lorsqu'il se réveille, quarante jours plus tard selon Moriarty, son célèbre ennemi lui apprend qu'il est sur la planète rouge. Sous couvert d'anticipation, de science-fiction et de fantastique, Jean-Pierre Andrevon construit son intrigue de manière très rationnelle, en ménageant ses effets et en apportant des solutions qui semblent simples mais auxquelles il fallait penser, déductions holmésiennes à l'appui.
Quelques titres ont attiré mon attention, par leur énoncé mystérieux. Mort et apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, par exemple car il m'a renvoyé immédiatement à ce roman intitulé Le dernier dimanche de monsieur le chancelier Hitler. Et vérification faite, je ne m'étais pas trompé, car effectivement Jean-Pierre Andrevon déclare que le scénario de cette nouvelle pouvait être le pendant du roman cité.
J'espère que vous avez passé un agréable après-midi, Toujours nous irons vers la mer, Ces chers petits, Le repas dans l'ombre, Une balade en ville, Des amis fidèles, autant de titres prometteurs respirant la joie de vivre, les petits bonheurs simples de la vie quotidienne, les promenades bucoliques, les flâneries. Mais sous le voile placide du titre se cache une autre réalité, plus assaisonnée d'humour noir, lorgnant du côté du fantastique ou de l'onirisme, comme dans Une balade en ville, thème souvent traité mais inépuisable car offrant de nombreuses possibilités d'exploitation.
Il serait long et peut-être fastidieux de recenser tous ces synopsis, mais il est bon de savoir que cela couvre tous les genres de la littérature populaire, genres qu'affectionne Jean-Pierre Andrevon, lequel oeuvre aussi bien dans le roman policier que dans le fantastique et la science-fiction ou encore les romans destinés à la jeunesse. Mais il ne se cantonne pas dans l'écriture puisqu'il chante et dessine. D'ailleurs la couverture est signée de l'auteur. Un artiste polyvalent qui ne déçoit jamais.
Des synopsis à déguster à profusion comme autant de nouvelles qui trouveront peut-être preneur et révéleront de nouveaux talents. A charge pour ceux qui écriront les romans d'avouer que l'idée principale leur a été soufflée par Jean-Pierre Andrevon, les éparpillant comme autant de graines destinées à germer dans des jardins en friche.


Paul Maugendre

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Isidore et le serpent à plumes - Pierre Stolze

Yozone, 6 juin 2013.

Isidore et le serpent à plumes, roman jeunesse de Pierre Stolze.

En pleine adolescence, l'acné en prime, Isidore est intrigué par les nouvelles lubies de sa mémé Restitude, qui le soudoie pour lui fournir par Internet (parce qu'elle est connectée, la grand-mère) de nombreuses informations sur l'Histoire et les sciences, à l'insu de ses parents.
Isidore la soupçonne d'abord de le faire réviser de manière détournée, mais ses hypothèses s'écroulent lorsqu'il doit aussi faire quelques achats de vêtements et de bijoux.
Oh, mémé se serait-elle trouvé un chéri?
La réalité est bien plus plaisante, comme le découvre Isidore lorsqu'elle lui demande de venir pour le week-end: Imina a débarqué en 2000! C'est elle qui a soif de connaissances.
Et pour une raison bien précise: son cousin, chaman comme elle, s'est enfui dans le temps, avec le sombre projet d'abuser de son pouvoir auprès des populations locales.
Isidore et Imina doivent donc chevaucher à nouveau le cours du temps pour le retrouver, et l'empêcher de nuire.
Les voilà chez les Aztèques, juste avant que Cortès ne vienne reprendre la capitale Mexico, dont il détient l'empereur en otage.

Pour Isidore, c'est un moment d'apprentissage. Encore ado alors qu'Imina est déjà adulte (conséquences du décalage temporel), il s'efforce de montrer un peu de maturité, de ne pas trop écouter ses pulsions de jeune amoureux (c'est pas facile) et de se concentrer sur leur mission.
Après son initiation au chamanisme par la tribu d'Imnina à Stonehenge, les deux jeunes gens partent à la recherche du cousin maléfique.
Débarquant à Mexico en pleine cérémonie de sacrifice rituel, ils se font passer pour des dieux pour avoir la vie sauve. Pas de chance, le cousin a eu la même idée en arrivant, et les autorités locales se méfient. Isidore va devoir prouver sa divinité au travers d'une série d'épreuves physiques dont il triomphera avec un peu de bagout et l'aide des pouvoirs d'Imina.
Mais la plus grande menace qui pèse est le retour de Cortès, bien déterminé à reprendre la ville par la force. Isidore et Imina vont donc avoir du mal à démasquer le menteur et quitter la ville. Il le faudra bien, sans mourir en cours de route ni changer le cours du temps!
Si les choses finissent à peu près bien, ce 3e tome marque une transition: tandis qu'Isidore grandit, la violence du monde et des différentes époques lui apparaît de façon plus flagrante. Dans un cocon en Chine, puis pourchassés par Pharaon, et là les voilà entre les sacrifices humains et une bataille meurtrière.
Toujours très bien documenté côté Histoire, le roman vaut toutes les leçons sur les Aztèques, de la religion aux loisirs. Voilà le genre de lecture "intelligente" qui allie l'utile à l'agréable.
À conseiller à tous les collégiens!
Avec les dernières révélations d'Imina, on attend impatiemment la suite (autant qu'Isidore, encore séparé de sa belle), et savoir où et quand le temps les emportera.

Nicolas Soffray

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Les montagnes hallucinogènes - Arthur C. Clarke Moi, Cthulhu - Neil Gaiman

Bifrost n°69, mars 2013.

Tout le monde connaît Les Montagnes hallucinées de H.P. Lovecraft, court roman dans lequel une expédition américaine en Antarctique découvre les plus hautes montagnes de la planète, et sur leurs flancs les ruines d'une ville à l'architecture démente, ville plus ancienne que l'Humanité qui n'est peut-être pas totalement inhabitée... À l'âge de vingt-deux ans, Arthur C. Clarke écrivait At the mountains of murkiness, traduit en français Les Montagnes hallucinogènes (ce qui n'a pas grand rapport avec le contenu du texte)*, pastiche poussif du chef-d'oeuvre de Lovecraft dont une grande partie de l'humour réside dans le choix du nom des personnages: Professeur Alhamass, Docteur E. Thanazy (ah ah ah), etc. Un texte pas désagréable, parfois à la limite du pathétique et au final totalement anecdotique. En trois mots: une curiosité poussiéreuse.
Plus proche de nous, Neil Gaiman, grand amateur du corpus lovecraftien, auquel il a souvent rendu hommage (comme nous le rappelle Patrick Marcel dans son introduction), nous propose un Moi, Cthulhu plus drôle que le texticule de Clarke, malin (il faut une sacré culture lovecraftienne pour tout comprendre, et par conséquent nettement plus convaincant. L'introduction sus-citée, une lettre de Neil Gaiman et un gros appareil de notes complètent ce Moi, Cthulhu qu'on recommandera aux fans de Gaiman, à ceux de Lovecraft et aussi aux joueurs de L'Appel de Cthulhu -- ce qui fait du monde.

Thomas Day

* Ni plus ni moins que At the mountains of murkiness ou Les Montagnes hallucinées, à vrai dire. ;-) P.G.

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Nouvelles de poche - Jean-Pierre Andrevon

Le Petit Silence Illustré n°10, février 2013.

Nouvelles de poche, recueil de Jean-Pierre Andrevon.

Dans la droite lignée de la Géométrie dans l'impossible, que Jacques Sternberg publia en 1953 chez Éric Losfeld à cinq cent exemplaires, chef-d'oeuvre que ce dernier mit vingt ans à vendre, voici quelques uns des 528 récits minuscules, Nouvelles de poche que Jean-Pierre Andrevon vient de publier à la Clef d'Argent.

Philippe Curval

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La Maison du Vampire - G.S. Viereck

Livres à 100 à l'heure, janvier 2013.

La Maison du Vampire, roman de G.S. Viereck.

Reginald Clarke est un homme du monde adulé, respecté et charismatique dont le talent n'est pas à prouver. Ayant l'habitude d'accueillir de jeunes artistes prometteurs dans sa belle demeure, Reginald est un mécène convoité. Ernest Fielding fait partie de ces privilégiés qui a la chance de venir s'installer auprès de son idole. Ethel Brandebourg, autrefois peintre, est une ancienne maîtresse de Reginald dont le fabuleux coup de pinceau a soudain disparu du jour au lendemain... Étrangement, depuis qu'Ernest vit chez Reginald, il ne produit plus grand chose, excepté Léontine, un roman dont il vient à peine de fignoler mentalement les derniers détails. Mais étrange coïncidence: le lendemain même où Ernest décide de se pencher sur l'écriture de son livre, Reginald présente publiquement comme étant sa dernière création, Léontine. Ce n'est pourtant pas possible: l'oeuvre que Reginald vient de lire est exactement celle d'Ernest. Ernest est-il devenu fou? Par quel miracle Reginald a pu lui voler une oeuvre dont il n'a pas encore écrit un traitre mot?
Ce roman à l'intrigue banale au premier abord, est pourtant l'un des premiers livres du XXe siècle à aborder le thème du vampire psychique. Tout le connaît évidemment le célèbre Comte Dracula de Bram Stocker, sombre créature avide de sang humain mais la réputation du vampire psychique est plus discrète. Jusqu'à la sortie de La maison du vampire de George Sylvester Viereck paru pour la première fois en 1907, peu d'ouvrages ont paru sur le thème. Qu'est donc ce monstre dont le pouvoir est celui de pouvoir d'absorber la force vitale de ses victimes? Mystérieux et séduisant tout comme son homologue sanguinaire, le vampire psychique se distingue cependant par sa faculté à s'approprier l'énergie et l'esprit des gens («Le génie d'un homme est fontion de sa capacité à absorber dans la vie, les éléments essentiels pour donner pleinement la mesure de son art.» p.26). Certains le définissent comme un «vampyre», le «y» rappelant celui du terme psychique (à vérifier). Pour d'autres, il est largement inspiré des croyances populaires de certaines cultures. Avec le vampire psychique, on quitte la littérature fantastique pour glisser dangeureusement vers le terrain des sciences occultes: Ethel, victime de Reginald, le sait. Elle tente donc de sauver le jeune Ernest de l'emprise de Reginald mais comment faire dans ce combat à armes inégales? («- Pourtant, remarqua t-il d'un ton triomphal, tes vampires sucent le sang ; mais Reginald, si vraiment c'est un vampire, ne s'en prend qu'à l'âme. Comment un homme pourrait-il sucer dans le cerveau d'un autre une chose aussi intangible et essentielle que la pensée? - Ah, répondit-elle, tu oublies que la pensée est plus réelle que le sang !» p.98-99).
Présenté et traduit par Jean Marigny, spécialiste du mythe du vampire dans la littérature anglo-saxonne, ce roman dégage une ambiance démodée assez troublante. Si le début du livre est un peu laborieux et les dialogues parfois ennuyeux ou sans trop de rapport avec le coeur du sujet, La maison du vampire reste une lecture récréative qui donne de bonnes pistes de lecture sur le sujet. On notera par exemple, les études faites par Jean Marigny (membre du Groupe d'Études et de Recherches sur le Fantastique et membre du Transylvanian Society of Dracula) ou encore Vampyre, le livre de John Polidori accessible gratuitement en anglais sur le site du Projet Gutenberg.
Encore une fois, je ne saurai qu'applaudir le travail de La Clef d'Argent qui se soucie toujours de proposer des textes rares dans des éditions de belle facture. Ce qui est certain, c'est que je n'ai pas fini de vous parler de cette petite maison d'édition qui ne cesse de me surprendre et que j'ai à coeur de vous faire découvir...

Alcapone

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Saturne - Christophe Lartas

Livres à 100 à l'heure, janvier 2013.

Saturne, récit de Christophe Lartas.

Saturne est un monstre sanguinaire qui s'est donné pour mission d'exterminer la race humaine. Partout où il passe, tout n'est que mort et désolation : il éclate les cranes, croque les corps, fouille les entrailles, viole les femmes, dévore les nourrissons... Foncièrement nihiliste, cette courte fiction raconte l'histoire d'un homme devenu monstre. Rien n'a plus de sens pour Saturne que la beauté de la nature : ses couleurs, ses paysages, ses plantes, ses animaux... En revanche, l'humanité est pour lui complètement absurde, tout comme les Dieux qu'elle a créé («Tant qu'il y aura des hommes, il y aura des Dieux» p.20). Saturne rêve d'un monde idéal sans hommes, ni Dieux car il ne craint pas la solitude. Mais qui est-il? Pourquoi fait-il cela? Ce monstre qui n'est pas sans évoquer le Dieu romain infanticide, sera t-il le Messie qui sauvera la terre?
Particulièrement sombre, ce roman laisse une impression étrange : le style poétique aux accents lyriques tranche violemment avec les descriptions brutales des tueries de Saturne. Il faut avouer qu'il est difficile de savoir où Christophe Lartas veut mener son lecteur si l'on ne prête pas attention à sa dédicace faite à Lovecraft : «A Howard Phillips Lovecraft» p.5. Si l'on ne trouve aucune réponse aux questions qui ne manquent de se poser tout au long de cette lecture, on comprend soudainement la singulière cruauté de Saturne au regard de l'oeuvre de Lovecraft. En effet, le père du Mythe de Chtulhu était obsédé par l'insignifiance de l'homme dans l'immensité du cosmos. De la même façon que Lovecraft, Saturne constate que l'homme se prend pour le centre de l'univers alors qu'il n'est qu'un être ridicule. Incapable de comprendre ce qui le dépasse, l'homme a toujours eu recours aux Dieux pour expliquer l'insondable. Le monstre de Christophe Lartas est en quête d'une vérité qui ne peut éclater qu'à l'extinction de l'humanité. Ce récit pourrait au premier abord, passer pour un espèce de délire sans queue ni tête. Pourtant, il est ici donné au lecteur de mieux comprendre l'influence littéraire héritée de Lovecraft. S'il est vrai que certaines scènes et certains dialogues sont d'une violence inouie, Saturne est un brillant hommage rendu à la pensée lovecraftienne. Pour cela mais aussi pour la plume de Christophe Lartas (qui peut évidemment parfois choquer), je recommanderais la lecture de ce petit opuscule au format orginal et très joliment édité par La Clef d'Argent!

Alcapone

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Le Livre de la Mort - Édouard Ganche

Livres à 100 à l'heure, janvier 2013.

Le Livre de la Mort, recueil de nouvelles d'Édouard Ganche.

La mort nous fascine autant qu'elle nous terrifie. Pas étonnant que la littérature l'ait souvent étudiée. Ce recueil de nouvelles traitant de l'Éternelle triomphante selon l'expression d'Édouard Ganche, a cette particularité d'aborder la mort sous un angle original: à l'hôpital, à l'amphithéâtre, à la morgue ou au cimetière, la mort est ici présentée comme objet d'étude à part entière. Mais ne nous y trompons pas. Il est bel et bien question ici de la mort dans toute sa laideur et sa réalité. La mort dégoûte. La mort dérange. Elle est pourtant le destin inéluctable de tout être humain. Tel un cri de rage contre cette fatalité, ce livre est un moyen pour Édouard Ganche d'exorciser ses peurs et son sentiment d'injustice: «Pourquoi être toujours menacé par la souffrance, pourquoi mourir et surtout pourquoi donc naître ?... rage et malédiction de notre impuissance et de notre servitude !... Qui de la Vie ou de la Mort aurais-je blasphémé ?... Je l'ignorais même, l'une étant la raison de l'autre, par le stupide aveuglement des hommes.» p.103. l'Agonie.

«La hideur de notre corruption, la preuve tangible de notre anéantissement, l'impression dégagée de ce cadavre amenaient simultanément en mon âme de la répulsion, de la douleur et de la tristesse pour notre destinée.» p.26. (Une autopsie à la morgue). Voilà l'une des raisons qui pourrait expliquer la naissance de ce livre. Très tôt exposé au macabre spectacle de la mort, Édouard Ganche s'intéresse dès son plus jeune âge à l'anatomie et à la médecine. C'est au décès de son père que lui vient l'envie d'écrire ce livre. Médecin de son premier métier tout comme son père, Édouard Ganche, porte un regard autant professionnel que passionné sur la mort. Il la craint (Et celle qui, partout accompagne la Mort, en vassale lige, la Peur, résidait là dans son royaume. Elle détraquait les cerveaux des vivants, et pour eux savait animer les faces des morts, les agiter dans leur suaire, les mettre debout, ondoyer les tentures et dans l'écartement de leurs draperies montrer des mains cadavériques et des têtes d'épouvantements. Elle aggripait aux épaules les hommes survenus et inaguerris à cette ambiance. Elle leur soufflait dans la nuque ses frissonnantes terreurs, gelait leurs moelles, les secouaient comme un arbrisseau dans la tempête et leur donnait l'insignifiance d'un fétu. p.82. L'opérée) mais ses descriptions révèlent une rigueur scientifique et un esprit matérialiste. Pour Ganche, la mort n'est pas une question de religion: profondémment athée, il était persuadé qu'"Afin de rendre supportable la perspective de la Mort, nombre d'hommes appellent à leur secours les spéculations de la philosophie et de la religion. Ils s'emplissent de conceptions imaginaires, rêvent de métempsychoses ou de résurrections, émettent des interférences fictives, se bercent dans l'hypothétique espoir d'un au delà, se consolent des tristesses de la misérabiblité de ce monde, de la nécessité de mourir, par l'expectative de revivre en des lieux de félicités. p.190. Les cimetières.
Les descriptions sont si réalistes que pour échapper au simple répertoriage des différentes manifestations de notre anéantissement, il était peut-être plus facile pour l'auteur de les mettre en mots sous formes de nouvelles. Le style empreinte évidemment au roman d'horreur et à la littérature fantastique (comme par exemple La cave aux cercueils) qui évoquent certainement les textes d'Edgar Poe, de Baudelaire ou Maurice Rollinat mais avec cette chose en plus qu'elles sont largement inspirées d'expériences réelles et d'hallucinations provoquées par la peur et l'angoisse d'une fin atroce. Obsédé par l'idée de s'éteindre un jour, Ganche trouve que "C'est une étrange faiblesse de l'esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu'elle se mette en vue de tous les côtés et en mille formes diverses." p.185. Bossuet, Sermon sur la mort. Épigraphe de Les cimetières. Par ce livre, il souhaite quelque part lever le terrible tabou lié à la mort en montrant la décomposition et la pourriture de nos corps et de nos chairs dans ce qu'ils ont de plus réalistes. Car après tout: «L'individu mort, sa mémoire seule mérite d'être glorifiée et la véritable religion du souvenir est en soi, dans l'intimité des songes, dans la possession de l'image du disparu et d'objets ou d'oeuvres qui étaient siens, et non dans une parade de la douleur, dans l'ornement d'un charnier et l'apport de fleurs sur une charogne.» p.191. Les cimetières. Personnellement, les textes qui m'ont le plus marqué sont Une autopsie à la morgue, L'opérée, La cave aux cercueils et Les cimetières.
Publié pour la première fois en 1909 puis retiré de la distribution seulement quelques mois après sa sortie, cette version définitive du recueil voit le jour grâce à La Clef d'Argent (2012). Obéissant scrupuleusement aux volontés d'Édouard Ganche pour la publication de ce livre (retrait et ajout de parties de textes, corrections, ordre de classement des nouvelles...), l'éditeur en exhumant ces textes oubliés, régale ses lecteurs. Le travail passionné de recherche et de documentation de Philippe Gindre et de Philippe Gontier rend un superbe hommage à ces nouvelles du biographe de Chopin: les éléments de contextualisation et les documents proposés en fin d'ouvrage (biographie, étude, revues de presse de l'époque, présentation des dédicataires, informations au sujet du Transi de René de Châlons, sculpture dont la photo est utilisée en première de couverture) apportent en effet beaucoup de profondeur au Livre de la mort. Et l'on en apprécie que mieux toute sa teneur. Voici donc un ouvrage excellent que je recommande horriblement à la fois pour ses terrifiantes histoires et pour le formidable travail de l'éditeur.

Alcapone

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La vie tranchée - Anne Morin

Les lectures de l'Oncle Paul, 12 janvier 2013.

La vie tranchée, recueil de nouvelles d'Anne Morin.

Quatorze nouvelles composent ce recueil, quatorze nouvelles tout en finesse qui nous emmènent sur les traces des fantastiqueurs opérant dans un registre proche du style de Sheridan Le Fanu, Charles Nodier, Dumas, Féval, Maupassant ou Mérimée et autres, lesquels privilégiaient le suggestif feutré à des descriptions grandiloquentes.
Ainsi il faut attendre l'épilogue de la première nouvelle, Les trois soeurs, pour se rendre compte que l'on est plongé dans un univers onirique. Trois soeurs sur un banc, aussi dissemblables les unes des autres que les Pieds Nickelés, assises sur un banc et regardant les gens passer. Trois Parques examinant les allées et venues le soir des touristes le soir, des vivants qui ne savent pas que leur destin va basculer.
Dans Le nom caché, une jeune mère solitaire, une châtelaine parturiente primipare ne veut pas que son enfant sorte de son ventre. Puis quand la nature a accompli son oeuvre, elle ne veut pas donner un nom à son nouveau-né. Elle est veuve, le père ne reviendra plus jamais, alors pourquoi perpétuer le souvenir en accolant un nom à ce fils qui ne connaitra jamais son géniteur. Elle passe son temps à scruter la lisière de la forêt puis regagne le château la nuit tombée.
L'allée met en scène tout comme dans Les trois soeurs, trois vieilles femmes également soeurs, qui vivent non loin du village. Mais vit également un écrivain, dont l'inspiration est bloquée. Sa maisonnette est en lisière de la forêt, bordant l'allée qui va recevoir des stands, de simples tréteaux qui accueilleront les ouvrages des écrivains venus dédicacer leurs oeuvres.
Des paysans bornés qui ne savent ni lire ni écrire mais prompts à interpréter les signes de la nature, à les déformer, par jeu, par vengeance, par méchanceté, traquent La Recluse. Ils ont poursuivi, attrapé, mis en cage de pierre, une jeune fille qu'ils ont baptisée sorcière. Mais celle-ci leur réserve une surprise.
Anne Morin plante un décor résolument pastoral, souvent dans l'Aveyron, dans lequel la forêt, la campagne, la nature jouent un rôle prépondérant. Avec des châteaux médiévaux, de petits villages en toile de fond, ou faisant partie prenante du récit. La dualité prend aussi une place prépondérante comme dans Arte, avec deux reproductions de tableaux, la Judith d'Artemisia Gentileschi et la Judith du Caravage. Dualité encore dans M. ou la vie manquée, histoire de la maitresse et de sa servante qui possèdent de nombreux points communs.
Des histoires qui flirtent avec l'incertitude et son contraire, avec espérance er désespérance, toujours cette dualité qui s'inscrit dans une quotidienneté normale, ou presque, une dualité qui s'exprime entre hier et aujourd'hui. Un fantastique délicat.

Paul Maugendre
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